Santé / France

On pourrait guérir tous les malades de l'hépatite C en France. Problème, ça coûterait 12 milliards

Avec Sovaldi ®, la guérison est garantie mais hors de prix. A l'heure où le gouvernement envisage des économies sur la santé, que faut-il faire?

Hopital Saint-André à Bordeaux, en 2012. REUTERS/Regis Duvignau (FRANCE)
Hopital Saint-André à Bordeaux, en 2012. REUTERS/Regis Duvignau (FRANCE)

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La découverte médicale tombe mal, à l’heure où le gouvernement annonce dix milliards d’euros d’économie sur les dépenses de l’assurance maladie. Cette avancée thérapeutique concerne le virus de l’hépatite C (VHC), dont l’OMS estime à 150 millions le nombre des personnes infectées à travers le monde.

En France, ils seraient environ 370.000 porteurs d'anticorps «anti-VHC», témoins biologiques d’un contact avec ce virus transmissible par le sang.  Un fois introduit dans l’organisme, ce virus peut y déclencher une infection chronique pouvant évoluer vers une cirrhose puis un cancer du foie. On dénombre chaque année en France environ 2.600 décès prématurés dus à une infection par le VHC.  

Une  vaste entreprise nationale  de dépistage des personnes infectées est  en cours. C’est ainsi qu’en  2011, plus de 2,6 millions de dépistage («sérologies anti-VHC») ont été réalisées en France entière et remboursées par l’ensemble des régimes d’assurance maladie.

On retrouve le virus actif dans le sang chez les deux-tiers des personnes ayant des anticorps. Ce sont elles qui peuvent bénéficier de la nouvelle thérapeutique qui commence à être commercialisée. Il s’agit du sofosbuvir, un nouvel antiviral capable de faire disparaître le virus en quelques semaines de l’organisme infecté.  

Les derniers essais cliniques menés dans ce domaine démontrent qu’associé à une autre spécialité pharmaceutique cette nouvelle molécule permet de guérir 90% des personnes traitées.

Découvert en 2010 au sein de la start-up Pharmasset (fondée en 2008 par deux universitaires américains), le sofosbuvir est aujourd’hui commercialisé (sous la marque Sovaldi ®)  par la firme américaine pharmaceutique Gilead Sciences. Cette dernière a acheté Pharmasset pour 11 milliards de dollars en 2011.  Une acquisition cohérente: Gilead est spécialisée dans les antiviraux dont le Truvada, médicament destinés aux personnes infectées par le VIH ou en situation de l’être.

Aujourd’hui Gilead place de considérables espoirs financiers dans la commercialisation de son nouveau produit. Autorisé par la Food and Drug Administration américaine fin 2013, le Sovaldi ® est aujourd’hui disponible en France en milieu hospitalier. Depuis janvier, il est réservé «à titre temporaire» pour certains malades atteints d’infection virale C chronique: ceux qui souffrent d’une maladie à un stade avancé pour lesquels il n’existe pas d’alternatives thérapeutiques appropriées et ceux qui sont inscrits sur une liste d’attente pour une greffe de foie. Ou encore ceux qui ont bénéficié d’une telle greffe mais chez lesquels une nouvelle infection du VHC, agressive, est en cours.

Cette situation de restriction ne pourra s’éterniser. Tous les éléments disponibles convergent pour confirmer la considérable supériorité de cette molécule sur les associations médicamenteuses précédentes, à base d’interféron. Certains spécialistes de virologie en viennent même, comme dans le cas du sida et des antirétroviraux, à évoquer la perspective d’une éradication du VHC. Reste toutefois, là encore, l’obstacle considérable du prix.   

Aujourd’hui  le Sovaldi ® est commercialisé en France à hauteur d’environ 60.000 euros le traitement de douze semaines. Auquel il faut ajouter une autre spécialité pharmaceutique onéreuse. Soit près de 90.000 euros pour un seul traitement. Cette situation commence à bouleverser les budgets des pharmacies hospitalières et conduit immanquablement à une forme de rationnement.

Des médecins (comme le Pr Yazdan Yazdanpanah, service de maladies infectieuses, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris) élaborent des modèles mathématiques pour préciser quant les bénéfices attendus de ce nouveau traitement peuvent être économiquement supérieurs à son prix actuel. Il faut alors comparer le surcoût majeur induit par ce nouveau traitement aux dépenses ultérieures qu’il permettrait de prévenir, qu’il s’agisse de prise en charge des cirrhoses hépatiques ou des transplantation de foie (estimées à 60 000 euros l’unité). Il n’en reste pas moins que ce sont là des équations à de multiples inconnues et qu’en toute hypothèse les coûts actuels du médicament interdisent de proposer ce traitement efficace à toutes celles et ceux dont l’état de santé le justifierait. 

Ce qui n’a rien de scandaleux a priori mais qui, en démocratie, mériterait amplement un débat public.

Aux Etats-Unis le coût est, selon la durée, compris entre 84.000 et 168.000 dollars. L’impact attendu sur l’équilibre financier des systèmes de santé commence à alimenter différentes controverses. Des associations de défense de patients dénoncent ici la cupidité de la firme pharmaceutique. Il semble que le Royaume-Uni soit parvenu à négocier des prix plus bas, de l’ordre de 35.000 £ (42.000 euros) les douze semaines.

Cette équation semble impossible à résoudre dès lors que l’on tient le prix du médicament comme une donnée fixe. Or ce prix est le fruit d’une négociation entre la firme et le gouvernement dans le cadre du Comité économique des produits de santé. Une négociation au terme de laquelle la firme à l’assurance de disposer d’un marché national substantiel compte-tenu de la couverture de la Sécurité sociale. Cette négociation est en cours pour le Sovaldi ®.

A quoi aboutira-t-elle ? La problématique dépasse ce seul antiviral. On la retrouve notamment avec la quasi-totalité des nouvelles molécules anticancéreuses. En toute logique elle réclame une remise à plat et une transparence sur l’ensemble du dispositif de fixation des prix des spécialités pharmaceutiques. A fortiori quand on cherche, comme aujourd’hui le gouvernement, à faire des économies drastiques sur le budget médicament de l’assurance maladie. 

Jean-Yves Nau

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