Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Fondation Jean Jaurès, Fondapol
Alors que la Fondapol continue de diffuser les témoignages de femmes qui ont voté pour la première fois à la Libération, dont nous vous parlions il y a quelques semaines, la politologue Virginie Martin s’est intéressée à la manière dont les Françaises ont été intégrées au corps électoral en 1944, dans le cadre d'une recherche menée pour la Fondation Jean-Jaurès.
En accordant le droit de vote à 12 millions de Françaises, le 21 avril 1944, le gouvernement provisoire d'Alger s’efforce de garantir un corps électoral «unifié», insiste Virginie Martin. Aucune différence (de sexe, de religion, d’origine) ne doit être prise en compte. Mais loin d’être considérées comme des citoyennes à part entière, les Françaises restent, à cette époque, en premier lieu des «femmes».
Leur rôle dans le processus électoral s’avère marqué par leur condition sexuelle, dans une société extrêmement patriarcale. La note souligne l’influence de trois personnages masculins sur le comportement civique des Françaises: «le père, le mari, et le curé». Qui achète le journal? C’est l’homme. Qui accompagne la femme –de «condition supérieure», surtout– au bureau de vote? Le mari. Qui, au final, lui dit pour qui voter? L’homme, bien souvent.
«C’est la prédominance masculine qui s’exerce au premier chef dans la socialisation politique des femmes. En effet, au sein des familles, dans la sphère du privé, l’homme dominant brise toute possibilité d’autonomie de la femme en matière de compétence politique.»
Au-delà de cette influence masculine, il s’avère parfois difficile pour les femmes de se forger une «compétence politique», notamment pour celles issues des classes modestes et vivant à la campagne:
«Dans les campagnes, l’accès à l’information est plus complexe, moins immédiat.»
Comme le confie Françoise Rogier dans son témoignage à Fondapol, beaucoup de femmes de l'époque étaient «occupées par [leur] quotidien». «Tenir» les enfants et la maison demeuraient leurs principales activités. Les représentations dans la presse les réduisent d’ailleurs à leur rôle d’épouse ou de fille, résume l’étude.
L’arrivée des femmes dans le corps électoral est d’ailleurs souvent méprisée par les journaux:
«Peu ou prou, tous les journaux [...] tournent en dérision cette femme qui va devoir s’intéresser au monde politique.»
Virgine Martin cite plus particulièrement le Canard Enchaîné, qui présente les femmes comme «soit ménagères, soit prostituées, soit grandes coquettes ou encore grandes bigotes: quoi qu’il en soit, toutes sont unies par une semblable incompétence».
L’aptitude des femmes à se mêler des affaires politiques est rarement prise au sérieux. Et si elle l’est un tant soit peu, c’est de façon très réductrice, l’avantage de l’entrée des femmes dans la politique se résumant à leur capacité d’influer sur des questions «féminines»:
«L’acte de vote féminin est donc circonscrit à la défense des valeurs du foyer, à celle de la famille, de la maternité et de l’économie domestique.»
Certes, certaines choses ont changé depuis 1944. Mais si la parité est assurée dans le gouvernement actuel, elle est loin de l’être dans toutes les institutions. En outre, beaucoup de charges restent encore très «féminines» (la famille, la santé, le droit des femmes), quand d'autres demeurent au contraire quasi-exclusivement réservées aux hommes, à commencer par celles de président de la République et Premier ministre.