Parents & enfants / Life

Les enfants d'aujourd'hui ne sont pas pourris-gâtés? Alfie Kohn ne doit pas connaître les mêmes enfants que moi

Pour cet auteur américain, les parents ne seraient pas trop permissifs, et il faudrait protéger encore davantage nos enfants de la frustration en leur épargnant punitions et remontrances. Comment dire?

<a href="https://www.flickr.com/photos/73337589@N03/7352597172/">Scream</a> / justkids via FlickrCC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Scream / justkids via FlickrCC License by

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«Y'a plus de respect», «Aujourd'hui les gosses sont pourris-gâtés», «les enfants n'ont plus de limites».

Au café du coin autant que dans la littérature spécialisée, les enfants d'aujourd'hui et leurs aînés de la génération Y sont régulièrement décrits comme des despotes qui auraient pris le pouvoir sur leurs parents, leurs professeurs et tous les adultes qui les entourent.

Ce putsh se serait organisé avec la complicité d'une société qui, parce qu'elle a placé l'enfant au cœur de tout, serait aujourd'hui prise en otage par ces mêmes enfants qu'elle a voulu valoriser. C'est la fameuse théorie du «tu lui donnes la main, il te bouffe le bras». Chose rare, ce qui est énoncé comme une pure banalité est pourtant une réalité palpable et visible. L'exemple de la Suède en est le meileur exemple.

L'hyperparenting est devenu, sinon une norme, au moins un idéal à atteindre.

Nous avons créé les parents hélicoptères. Nous avons créé les magazines de mode pour enfants. Nous avons créé l'aire de jeu molletonnée. Nous avons créé les chaines 100% pour enfants. Nous avons créé les boîtes de nuit pour enfants. Nous avons créé le coaching parental. Nous avons créé les balises GPS pour enfants.

Bien sûr, la «génération d'après» est toujours celle qui est la plus gâtée, la plus épargnée par les épreuves de la vie. Quels que soient nos âges, on s'est tous entendus dire par nos parents, qu'à Noël, eux n'avaient pas eu la chance de crouler sous les cadeaux et les hydrates de carbone. Nous avons plus de chance et de biens matériels que nos parents, qui en ont eu plus que leurs parents, qui en ont eu plus que leurs parents etc.

Pour résumer, chaque génération est la génération pourrie gâtée de la précédente. Par ailleurs, à chaque génération, l'éducation se fait moins rigide et plus bienveillante. Et c'est évidemment heureux. Sans cela, les bonnets d'âne et les martinets auraient toujours cours.

Mais nous, parents d'aujourd'hui, avons apporté un déplorable et artificiel coup d'accélérateur dans ce processus.

Provoc, esprit de contradiction et démagogie

Pourtant, un homme essaie de nous dire qu'on contraire «tout va bien, il faut continuer dans cette voie» et donner encore davantage de liberté à ces enfants. Le pousse-au-crime s'appelle Alfie Kohn, conférencier, spécialiste de l'éducation et auteur de nombreux ouvrages sur l'éducation. Il est célèbre notamment pour ses diatribes virulentes et efficaces contre les devoirs à la maison et les notes. Bref, l'homme se place résolument du côté des enfants. Mais cette fois, il est allé trop loin.

Dans son dernier ouvrage, The Myth of the Spoiled Child («Le mythe de l'enfant gâté»), il s'attaque à ce qui, selon lui, relève de légendes urbaines ou de mythes popularisés par les médias.

Ainsi, aujourd'hui, les enfants ne seraient pas pourris-gâtés, les parents ne seraient pas trop permissifs, et il faudrait protéger encore davantage nos enfants de la frustration en leur épargnant punitions et remontrances.

Dans cet ouvrage, Alfie Kohn réitère ses objections quant aux devoirs à la maison, aux notes et au culte de la réussite scolaire. Ils auraient selon lui un effet dévastateur sur l'estime de soi et la sérénité des enfants. C'est peut-être la seule idée que je partage avec lui. Tout le reste n'est que provoc, esprit de contradiction et démagogie.

Bien sûr que si, nous avons créé des monstres

C'est l'assertion de Kohn la plus délirante: nous ne couvons pas trop nos enfants.

Pour émettre une telle contre-vérité, Kohn n'a pas du lire un journal ou consulté Internet depuis des lustres. Pas un jour ne passe sans que l'on ait la preuve que la société devient folle quand il s'agit de droits de l'enfant. Soyons clairs, les droits de l'enfant sont de mieux en mieux pris en compte, sa parole est de plus en plus respectée, la maltraitance est désormais plutôt bien détectée. Et tout cela est une bonne chose. Mais à quel moment a-t-on décidé qu'une mère qui laisse son aîné de 13 ans à la maison avec des enfants plus jeunes est une criminelle (Il fut un temps où l'on engageait des baby-sitters du même âge sans que cela ne choque personne)?

Cet effet pervers est habilement démontré par Lenore Skenazy, auteure de Free range kids et du site Internet du même nom. Elle y compile tous les faits divers qui victimisent les enfants et diabolisent les adultes à outrance. Ainsi, une mère a été arrêtée par la police, dans un restaurant, parce qu'elle avait bu deux bières avant d'allaiter son bébé. Une mère a porté plainte contre l'école qui avait l'outrecuidance de servir des oeufs et du lait à la cantine, alors que ses enfants y sont allergiques.

Attention, ce type d'affaire n'est pas l'apanage des Américains. En France aussi, on est capable de surréagir.

Bien sûr, aucun parent ne s'autoproclamant parent hélicoptère, il n'existe pas de statistiques nationales. Mais des praticiens font état du phénomène. Ainsi, le psychologue clinicien Didier Pleux s'émeut régulièrement de la nouvelle omnipotence des enfants:

«Il y a trente ans, les enfants rois représentaient 2% de mes patients. L’écrasante majorité, plus de 90%, était constituée de jeunes qui souffraient d’un manque de confiance en soi ou d’un problème de personnalité. Aujourd’hui, c’est l’inverse, les neuf dixièmes des enfants qui passent par mon cabinet présentent une intolérance à la frustration et à l’autorité.»

Vivre dans du coton avec un casque et des genouillères n'a jamais rendu personne heureux

Pourtant, selon Alfie Kohn il ne faut pas punir pour ne pas frustrer. Dans son ouvrage, il raconte l'histoire d'une mère qui a installé une appli sur le téléphone de sa fille afin de l'empêcher d'envoyer des SMS au-delà d'une certaine heure. Pour Kohn, l'enfant est une victime, et la mère «un dictateur».

Il est également radicalement contre le «time-out»: envoyer un enfant 5 minutes dans sa chambre ou sur une marche d'escalier parce qu'il a fait une bêtise. Selon lui, il faut «collaborer et non contrôler. Privilégier l'amour et non le pouvoir. Cela signifie aussi accepter l'enfant sans conditions, se concentrer davantage sur la satisfaction de ses besoins que la volonté de susciter le respect. Concevoir les bêtises davantage comme une occasion de résoudre les problèmes qu'une infraction pour laquelle l'enfant doit être puni».

Bienvenue dans un monde où les parents doivent concevoir un caprice, ou une crise au supermarché comme «une occasion de résoudre les problèmes» et non comme un comportement à maîtriser et une occasion de montrer à l'enfant qu'il n'a pas tous les droits.

Et c'est tout le problème, satisfaire à tous les besoins immédiats de l'enfant, ne pas lui montrer que l'on désapprouve son comportement quand il fait une bêtise, a des effets dévastateurs.

Nombreuses sont les études qui montrent qu'une éducation trop permissive a créé une génération de jeunes adultes dépressifs et intolérants à la frustration et l'échec.

Bien sûr, certains spécialistes ne sont pas de cet avis et estiment que les limites et la frustration ne sécurisent pas l'enfant. Ce sont les mêmes qui recommandent de dire à un enfant qui refuse de partager son stylo: «Ce stylo est à toi et si tu ne veux pas que ta petite sœur joue avec, tu as le droit de le mettre sur cette étagère en hauteur.» Ce qui revient à encourager l'enfant dans la prépondérance de son égo vs celui de l'autre.

Si ma fille refuse de prêter son stylo, je le lui confisque. Cela fait-il de moi une autocrate? Pour Alfie Kohn, probablement. Pour ma fille aussi. Dois-je expliquer à ma fille les vertus du partage? Non. J'ai aussi le droit de lui dire «c'est comme ça et pas autrement».

Oui, «c'est comme ça et pas autrement»

Et c'est une phrase qui hérisse Alfie Kohn et à laquelle il a donné le sobriquet de «BGUTI» (better get used to it). Il ne faudrait jamais, ô grand jamais, dire à un enfant que la vie est dure et qu'on ne fait pas toujours ce que l'on veut.

«Personne n'aime s'entendre dire ce qu'il doit faire, que ce soit à l'école, au travail ou dans une relation... Et pourtant, nous forçons consciemment nos enfants à s'y habituer. C'est complètement ridicule. Nous ne voulons pas qu'ils s'y habituent. Nous voulons qu'ils aient la force de contester. Voulons-nous vraiment faire de nos enfants des drones serviles?»

Ça ne fait plus de doutes. Alfie Kohn est un troll. Et plus que ses théories fumeuses, c'est la manière dont il simplifie à outrance les interactions parents-enfants qui est insupportable. En voulant démonter un mythe, il en invente un autre et crée de toutes pièces deux camps qui n'existent pas: parents autoritaires et intraitables versus parents permissifs et empathiques.

C'est oublier qu'un même parent peut être tout cela à la fois dans une même journée. L'enfant, lui, reste un enfant, de son réveil à son coucher, et non un petit adulte. C'est comme ça et pas autrement.

N.D.

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