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Municipales à Bondy, Sevran, Bobigny... Pas de quartiers pour les sortants de gauche

Militants de gauche issus des quartiers populaires, ils s'estiment mal représentés dans les conseils municipaux. Alors ils montent des listes épines dans le pied du PS et du PCF.

Atelier Le Mee à Saint-Gregoire près de Rennes, le 17 mars 2014 où l'on fabrique les écharpes de maire. REUTERS/Stephane Mahe
Atelier Le Mee à Saint-Gregoire près de Rennes, le 17 mars 2014 où l'on fabrique les écharpes de maire. REUTERS/Stephane Mahe

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Les partis traditionnels de gauche pourraient être mis en difficulté dans plusieurs villes de banlieue au soir du premier tour des municipales, aujourd'hui 23 mars. Et pas forcément par la droite mais par des listes autonomes issues des quartiers populaires qui ne se reconnaissent plus dans le PS ou le PCF. Plus d'une dizaine de villes sont concernées : Fresnes, Grigny, Bondy, Sevran, Bobigny, Massy...

Ces listes, apparues lors des municipales de 2008, avaient réussi de jolis scores, atteignant parfois les 10% et raflant quelques postes de conseillers municipaux.

Paradoxalement, leurs programmes reprennent souvent des thèmes chers aux partis de gauche comme le droit de vote des étrangers, la lutte contre le contrôle au faciès, le refus des expulsions locatives... Des listes marquées à gauche en somme mais qui n'en veulent surtout pas l'étiquette.

«La gauche nous a toujours pris pour acquis, explique Rachid Chatri, à Bobigny, ville communiste de Seine-Saint-Denis depuis près d'un siècle. On est beaucoup à avoir une expérience dans ses rangs et on s'est rendu compte que ceux qui la dirigeaient étaient devenus des citoyens professionnels et que nous, les associatifs des quartiers, on leur servait de caution populaire.»

«La gauche d'aujourd'hui n'existe plus que dans les mots, déplore Djafar Hamoum, également de Bobigny, qui fut candidat Emergence aux législatives. Dans la pratique, elle gère le pouvoir, c'est tout». Idem à Grigny, ville communiste depuis 1925. Kouider Oukbi,  tête de liste du parti des Grignois (PDG) ne mâche pas ses mots: «Grigny, c'est les favellas. La mairie fait son business sur la misère des gens et elle n'a aucun intérêt à ce que ça s'améliore. Plus les gens sont dans la merde et plus ils sont manipulables.»

A Fresnes, la liste citoyenne «Fresnes à venir» emmenée par Kaddour Métir dit la même chose: «Ceux au pouvoir ne se posent plus la question de ce que veulent les gens. Il y a une perte de contact avec le peuple.»

Dans la foulée de 2008, ces listes avaient décidé de se réunir au sein d'un collectif, Emergence, pour les régionales de 2010. Un regroupement présenté comme un mouvement de «citoyens entrés en résistance contre les partis traditionnels». Malgré les scores prometteurs des municipales de 2008, les résultats aux élections régionales de 2010 et aux législatives de 2012 qui ont suivi n'ont pas été bons.

La question d'une alliance avec les partis traditionnels a fini par se poser. Après de longues discussions entre les différentes listes, deux lignes se sont dégagées: certains ont opté pour un rapprochement avec l'UDI (Bobigny, Massy, Grigny, Sainte-Geneviève-des-Bois). D'autres ont décidé de demeurer parfaitement autonome (Fresnes, Bondy, Sevran). 

Les premiers se sont regroupés dans un nouveau collectif «Citoyen 2014» qui revendique aujourd'hui une quarantaine de villes. Les seconds sont restés au sein d'Emergence. «On a pris des voies différentes sur les stratégies locales mais on se rejoint totalement sur les luttes à l'échelle nationale», rappelle Dawari Orfsall de Massy.

Tous ont en tête le compagnonnage avec le parti socialiste des années 1980 alors que les questions du chômage, de la pauvreté, du logement et de la sécurité dans les quartiers populaires émergeaient sur la scène nationale. Après l'embrasement du quartier des Minguettes en 1981, les socialistes s'étaient rapprochés des leaders des quartiers les plus prometteurs.

«On a vu ce que le PS a fait dans les années 1980 avec la marche pour l'égalité et SOS Racisme. On ne se fera pas avoir une seconde fois. Ils ne pourront pas nous la faire à l'envers comme avec Mitterrand», dit Rachid Chatri à Bobigny.

«On a appris du passé. On ne baissera pas notre froc, jure Kouider Oukbi, à Grigny. Les communistes ont essayé de nous acheter après les municipales de 2008 avec des postes d'adjoints mais on a refusé et on refusera encore.» «On sait maintenant que si on doit monter aux responsabilités, juge Yassine Lamaoui de Sainte-Geneviève-des-Bois qui fut candidat indépendant aux cantonales de 2011.il faut le faire à plusieurs pour être sûr de ne pas être récupérés. Il faut qu'on demande autre chose que des postes aux Sport, à la Culture et à la lutte contre les discriminations.»

L'abstention, une constante dans ces villes de banlieues, questionne la légitimité des équipes municipales et met en lumière le gouffre entre politiques et population: 48% à Fresnes, 53% à Bobigny, plus de 50% à Grigny...

A Bobigny, Djafar Hamoum explique: «En 2008, il y a eu 9.000 votants et 11.000 abstentionnistes sur la commune. Les élus ne représentent pas grand monde dans ces cas.»

A Grigny, Omar, l'un des militants du parti des Grignois (PDG), analyse: «La mairie n'a pas d'intérêt à ce qu'il y est une campagne électorale parce que l'abstention est très forte ici. Si les abstentionnistes commencent à voter, il y a des chances pour que ce ne soit pas pour eux.»

En 2008, seules 1.000 voix séparaient le PDG de l'équipe sortante, autant dire rien du tout au regard des 6.000 abstentionnistes de la commune. La liste du PDG, constitué seulement deux mois avant l'élection, avait raflé au final 27 % des votes.

Ces listes dénoncent avec force les dispositifs de démocratie participative actuels. Du pur affichage à leurs yeux. Les conseils de quartier censés inciter les citoyens à participer davantage à la vie politique locale sont perçus comme des lieux sans aucun pouvoir de décision. «L'intention de se rapprocher des politiques est peut-être sincère avec ces comités mais cela ne fonctionne pas car il n'y a jamais de vote à la fin», juge Pierre Aioutz de la liste «Fresnes à venir».

«On nous a habitués à la démocratie participative même si ça ne l'a été que dans les mots», explique Rachid Chatri. Pour dénoncer les conseils consultatifs mis en place par la mairie de Bobigny, des coquilles vides à ses yeux, lui et quelques amis se sont amusés à rédiger et distribuer le compte-rendu de l'une de ces réunions avant même qu'elle ne se tienne.

Plus largement, tous dénoncent la verticalité du pouvoir municipal. «L'attribution des logements sociaux comme des places en crèche se fait en commission. Les attributions sont opaques et cela donnent des interprétations fausse. Il faut beaucoup plus de transparence que les gens comprennent comment ces places sont données», poursuit Pierre Aioutz.

Arthur Frayer

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