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Faux départ sur Internet pour le nouveau patron de Radio France Mathieu Gallet

Capture d'écran de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mathieu_Gallet">l'article Wikipedia consacré à Mathieu Gallet.</a>
Capture d'écran de l'article Wikipedia consacré à Mathieu Gallet.

Temps de lecture: 3 minutes

«Une conscience aiguë des enjeux du numérique». C'est l'une des raisons avancées par Olivier Schrameck, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour justifier le choix de l'institution de placer à la tête de Radio France Mathieu Gallet. Précédemment à la tête de l'INA, il est passé par les cabinets de Christine Albanel et Frédéric Mitterrand au ministère de la Culture, et est également projeté en 2006 conseiller en nouvelles technologies de François Loos, alors ministre délégué à l'Industrie.

Pourtant, la relation entre Internet et Mathieu Gallet n'a pas l'air de démarrer très fort, quelques heures seulement après l'officialisation de sa nomination ce jeudi 27 février.

Déjà, il y a son utilisation toute modérée, c'est le moins que l'on puisse dire, de son compte Twitter, que certains twittos compulsifs n'ont pas manqué de lui faire remarquer: aucun message à son actif jusqu'à sa récente nomination et seulement dix comptes, tous très institutionnels (Canal Plus, M6, le Musée d'Orsay...), suivis. On aura en effet connu usages plus développés.

Mais au-delà de cette peccadille, une histoire plus intéressante se déroule cette fois dans les coulisses du site Wikipédia. L'article consacré à Mathieu Gallet est en effet au centre de ce que le site collaboratif appelle une «guerre d'édition». Si vous vous connectez à cette page, vous pourrez ainsi voir tout en haut affiché:

«Les contributeurs sont tenus de ne pas participer à une guerre d’édition sous peine de blocage.
Cet article a subi récemment une guerre d’édition au cours de laquelle plusieurs contributeurs ont mutuellement annulé leurs modifications respectives. Ce comportement non collaboratif est proscrit par la règle dite des trois révocations. En cas de désaccord, un consensus sur la page de discussion doit être obtenu avant toute modification.»


Capture d'écran de la page Wikipedia consacrée à Mathieu Gallet.

Depuis le 25 février, soit deux jours avant la nomination de Mathieu Gallet à la tête de Radio France, des utilisateurs s'opposent sur les modifications à apporter à l'article qui lui est consacré. Un certain «RTBF» remarque ainsi dans la nuit:

«Cette biographie est rédigée presque exclusivement par le service de presse de l'INA, voire les deux rédacteurs principaux, et elle est essentiellement élogieuse alors que des dizaines d'articles critiques sont parus. Il faut au moins en rendre compte.»

Comme nous l'indiquions en effet dans un précédent article paru ce jour, «sa légitimité [au sein de l'INA] y était contestée»: l'association de lutte contre la corruption Anticor avait vu dans sa nomination, qui ne s'est pas accompagnée au préalable d'un examen de la Commission de déontologie de la fonction public, un risque de conflit d'intérêt. «Une plainte avait été déposée puis classée sans suite, selon BFMTV en février 2014», expliquions-nous encore.

A la lumière de cet historique, l'utilisateur de Wikipédia décide donc d'ajouter «des éléments à l'article Mathieu Gallet, nous raconte un habitué de l'encyclopédie en ligne que nous avons contacté, certains faits étayés par des sources dont l'origine semble de qualité (presse nationale)».


Capture d'écran de la menace de plainte pour diffamation laissée sur Wikipedia.

Une initative qui ne plaît pas du tout à un autre internaute, qui menace le 26 février, soit la veille de la nomination, de porter plainte contre cet utilisateur pour «diffamation publique envers une personne ou une institution publique». Il tente également de modifier ce jour une partie de la page consacrée à Mathieu Gallet, «[effaçant] à plusieurs reprises des pans entiers de l'article», explique encore notre interlocuteur sur Wikipédia, avant qu'il ne se fasse «bloquer pour vandalisme par d'autres contributeurs».

«Qui est-ce, on ne sait pas», poursuit notre interlocuteur qui se retrouve également embarqué dans cette affaire, en étant menacé de plainte pour complicité de diffamation. Il ajoute néanmoins qu'il s'agit certainement d'un avocat «vu ce qu'il écrit».

Le nom emprunté pour rectifier les informations laissées sur Wikipédia semble également l'indiquer, puisqu'il s'agit d'un certain «DARTEVELLE CAB».

Nous avons tenté de retrouver le cabinet d'avocats qui pourrait effectivement être associé au patronyme ici utilisé. En vain: contactés par téléphone, nos interlocuteurs nous ont assuré n'être en rien concernés par Mathieu Gallet. L'un de ces cabinets, d'un avocat réputé, est pourtant spécialisé dans les affaires culturelles et de presse, qui comportent leur lot de diffamations.

Nous avons également joint Maître Christophe Ingrain, avocat de Mathieu Gallet à l'occasion notamment de la plainte déposée dans le cadre de sa nomination à l'INA, afin d'essayer d'y voir plus clair. Nous attendons sa réponse.

Ce qui est certain, c'est que la démarche de cet utilisateur zélé, conseil judiciaire ou non mais désireux en tout cas de strictement contrôler les informations délivrée sur Mathieu Gallet en amont de sa nomination à la tête de Radio France, ne risque pas vraiment de rendre service à ce dernier. Et ne dénote pas d'une compréhension très fine du fonctionnement sur Internet, même si ce genre d'intimidations arrivent «tous les jours, pour n'importe quoi», commente notre contact sur Wikipédia.

Comme ce dernier le relève très justement, l'histoire n'a pas manqué de faire le «buzz sur les réseaux». Comme cela arrive d'ailleurs souvent dans ces cas-là: ainsi il y a quelques mois à peine, lorsqu'un responsable de Wikimedia France s'est vu menacé par la DCRI, une agence du renseignement français, pour supprimer un article contenant une information jugée sensible... qui était pourtant publique. Comme l'écrivait alors ZDNet:

«[...] l'article [...] a très vite été restauré, mais surtout il a été traduit en 30 langues et a suscité une attention énorme

Et ce n'est qu'une manifestation parmi tant d'autres de ce qu'on appelle «l'effet Streisand» sur Internet –du nom de la chanteuse et actrice qui, en tentant d'empêcher la divulgation en 2003 de photos de sa villa, n'a réussi qu'à amplifier l'attention qui leur était portée...

A.F.

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