France

Nourrir un malade en état végétatif est désormais un «traitement»: il pourra être «arrêté»

Le Conseil d’Etat n’a pas fait que retarder sa décision concernant Vincent Lambert.

Dans un hôpital suisse en 2011. REUTERS/Michael Buholzer
Dans un hôpital suisse en 2011. REUTERS/Michael Buholzer

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On ne saura pas avant cet été si Vincent Lambert continuera à vivre au CHU de Reims ou si, comme ils le souhaitent, ses médecins mettront un terme définitif à leurs soins. Mais loin de se limiter à cette décision sans précédent dans l’histoire des rapports entre la médecine et la justice, les magistrats du Palais-Royal ont notamment rendu un jugement dont la portée éthique et pratique sera considérable. Elle concerne les 1.700 le nombre des personnes qui, en France, sont dans des situations voisines de celle de Vincent Lambert, soit en état de conscience minimale – des personnes dans un état comateux mais qui ne nécessitent ni alimentation par voie veineuse ni assistance respiratoire.

C’est là un point d’une portée majeure qui n’est pas sans dimension paradoxale. S’ils sont de simples actes de soins ils doivent être poursuivis. S’ils sont des traitements, ils peuvent être arrêtés. Et ce dès lors qu’ils apparaîtraient comme s’inscrivant dans le champ de l’«obstination déraisonnable».

«Cette question fait l’objet de controverses, pour des raisons aussi bien médicales que philosophiques ou religieuses, avait reconnu le rapporteur public. Pour notre part, nous croyons fermement que l'alimentation et l'hydratation artificielles sont des traitements au sens de la loi du 22 avril 2005 [loi Leonetti]. Il s’agit d’une technique médicale destinée à remédier à une fonction vitale défaillante, comme le serait une dialyse ou un dispositif de ventilation artificielle. Il ne fait d'ailleurs guère de doute que cette technique intrusive requiert, comme tout acte de soin, l'autorisation du patient lorsqu'il est conscient ; de façon symétrique, un patient serait en droit de demander son interruption. »

Là encore le rapporteur Rémi Keller a estimé que son interprétation était confirmée par les travaux parlementaires. En présentant l'exposé des motifs, le rapporteur Leonetti faisait valoir qu’«en autorisant le malade conscient à refuser tout traitement, le dispositif viserait implicitement le droit au refus à l'alimentation artificielle, celle-ci étant considérée par le Conseil de l'Europe, des médecins et des théologiens comme un traitement. » Ce point avait alors été contesté via un amendement qui visait à limiter les cas dans lesquels l'hydratation et la nutrition pourraient être interrompues. Une lecture voisine avait été faite en 2005 (avis n°87) par  le Comité consultatif national d’éthique.  

Dans d’autres pays, des juges saisis de cette question ont apporté des réponses allant en ce sens. «La Cour suprême des Etats-Unis a jugé en 1990 qu’un malade en état végétatif disposait d’un droit constitutionnel à l'arrêt de l'alimentation artificielle, cette alimentation pouvant être refusée au même titre que n'importe quel traitement médical, a rappelé Keller. Un point de vue similaire a été exprimé en 1993 par la Chambre des Lords britannique, et en 2007 par la Cour de cassation italienne. »

Cette lecture est loin d’être toujours partagée. Dans son étude datée de 2009 consacrée à la révision de la loi de bioéthique, l’assemblée générale du Conseil d’Etat avait elle même noté que l’arrêt de l’alimentation d’un patient pouvait sembler «opérer une transgression plus forte» que les autres gestes médicaux de suppléance vitale, comme la dialyse rénale ou la ventilation artificielle.

Comment assimiler sans difficulté la nourriture et l’eau à des médicaments ou à des palliatifs mécaniques? Et du strict point de vue du droit, comment concilier cette forme d’euthanasie avec le respect du principe de la «sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation»— principe érigé en France au rang de principe constitutionnel depuis 1994?

J-Y.N.

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