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Comme l’écrivait Cécile Dehesdin sur Slate l’été dernier, à propos d’une —bonne— série d’articles d’un Américain sur Paris, la presse américaine a tendance à nous décrire une capitale française pleine de clichés. Ainsi dans le New York Times, Maureen Dowd déclarait son amour au «malaise» existentiel français:
«La chroniqueuse pens[ait] raconter la France, la vraie, et sa déprime, à partir d'observations menées depuis la Fashion Week, le cabinet d'un dentiste avenue Hoche avec des coussins imprimés Picasso dans sa salle d'attente et d'un espresso bu au Rostand, en face des jardins du Luxembourg.»
L’avenue Hoche reliant l'Arc de Triomphe au Parc Monceau, et le Jardin du Luxembourg, attenant au Palais du Luxembourg qui abrite le Sénat, étant un des quartiers les plus onéreux de la Rive gauche, les autochtones accueillent souvent de tels articles avec un peu de scepticisme sur leur portée sociologique.
Or voici que Newsweek —racheté en 2012 par un jeune entrepreneur français, Etienne Uzac, dont les liens avec un pasteur évangélique américain (qui se prend pour Jesus) ont fait jaser— vient de nous en remettre une couche. Sur le fond, l’article défend, c'est bien son droit, une ligne libérale classique qu’on peut résumer par cette phrase qu’un directeur juridique d’une grande entreprise lâche à la journaliste:
«La France se meurt. C’est le socialisme qui la tue.»
Après tout, l’article annonce la couleur dès le titre, «The Fall of France» —«La chute de la France». Ses interlocuteurs, «talents» que sont les «business leaders, les innovateurs, les penseurs créatifs et les hauts dirigeants», ont déroulé face à la journaliste leur récit favori: la France n'est pas –encore– une vaste place de marché totalement libre et innovante.
Mais c’est surtout l’arrière-plan général qui met, une de fois plus, mal à l’aise et donne, une fois de plus, l’impression que les observateurs sévères voient la France depuis un angle de vue particulièrement étroit.
La journaliste a quitté Notting Hill pour les abords du Jardin du Luxembourg (encore lui!), rencontre ses interlocuteurs dans un restaurant japonais du VIe arrondissement, a mis son fils à l’Ecole alsacienne, un des établissements les plus sélectifs de la capitale, et écrit que le demi-litre de lait coûte 4 dollars, soit environ 3 euros —pour info, même le litre de lait Monoprix Gourmet ne dépasse pas 1,33 euro...
Pour @janinedigi 6€/l de lait à Paris. Vrai, pour le lait cru de Yack sauvage de Mongolie AOC chez Fauchon ? http://t.co/WDQFLENtEl
— Serge Soulan (@SergeSoulan) 5 Janvier 2014
Qui sait où on peut payer à Paris un demi-litre de lait 4$, comme la journaliste @Newsweek ?.:) via @humourdedroite pic.twitter.com/AjVWrQexcP
— François Momboisse (@fmomboisse) 5 Janvier 2014
Ce sont de petits détails, et il ne s'agit pas de tirer sur l'ambulance, puisque la journaliste qui a écrit l'article est en train de passer un très mauvais moment sur les réseaux sociaux. Ce qu'elle décrit est en fait, malheureusement, proche d'une certaine réalité: celle d'une bulle d'aisance, autosatisfaite, incapable de percevoir et de comprendre pourquoi le pays ne colle pas tout à fait à ses fantasmes et ne suit pas toujours le tempo qu'elle voudrait lui imposer.