France

Qu'a-t-on le droit de publier à propos des enregistrements Bettencourt?

Tentative d’explication à partir de l’arrêt rendu contre Mediapart.

<a href="http://www.flickr.com/photos/wwworks/4637981216/">Listen up: ears really are strange looking if you think about it </a>/ woodleywonderworks via Flickr CC License by
Listen up: ears really are strange looking if you think about it / woodleywonderworks via Flickr CC License by

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Ce jeudi 4 juillet, la cour d’appel de Versailles a ordonné à Mediapart et au Point de supprimer de leur site les retranscriptions de tout ou partie des enregistrements illicites réalisés chez Liliane Bettencourt par son majordome.

L’arrêt concernant Mediapart –mis en ligne par le site– ordonne aussi au site de «ne plus publier tout ou partie des enregistrements illicites sur tous supports, électronique, papier ou autre […] sous astreinte de 10.000 euros par extrait publié».

Cette interdiction concerne donc directement les futurs rebondissements juridiques de l’affaire Woerth-Bettencourt, qui est toujours on ne peut plus d’actualité –le 4 juillet, Patrice de Maistre et Eric Woerth étaient renvoyés en correctionnelle pour trafic d’influence.

Qu'a donc le droit de publier Mediapart, et qu’en est-il des autres médias?

Tout d’abord, aucun média n’est censé faire comme si ces enregistrements du majordome n’existaient pas (ce qui serait d'autant plus risible qu'ils sont disponibles sur Internet ailleurs que sur Mediapart). La décision «n’interdit pas d’informer les lecteurs sur des éléments dont l’organe de presse a connaissance», explique Me Anne Cousin, avocate au barreau de Paris spécialisée dans le droit de l'Internet et des médias.

Le problème, c’est qu’il faut réussir à en parler... sans les citer. «Rien n’empêche Mediapart de faire un travail journalistique, mais sans pouvoir citer les extraits», ajoute ainsi Me Caroline Mecary, avocate au barreau de Paris spécialisée entre autres dans le droit des médias.

Prenons l’exemple du renvoi en correctionnelle de Patrice de Maistre et Eric Woerth. Mediapart peut annoncer ce renvoi, et ses raisons: le fait que la justice soupçonne Eric Woerth d'avoir octroyer la légion d’honneur à Patrice de Maistre quand il était ministre du Budget parce que ce dernier avait engagé Florence Woerth, épouse d’Eric, dans la structure de gestion de fortune de Liliane Bettencourt.

En revanche, le site n'aurait pas le droit –ou risque en le faisant une astreinte de 10.000 euros– de rappeler qu’un des enregistrements du majordome faisait entendre Patrice de Maistre disant à Liliane Bettencourt:

«Le fait que vous ayez une femme de ministre, chez nous […] J'avoue que quand je l'ai fait, son mari était ministre des Finances, il m'a demandé de le faire.»

Mais ont-ils le droit de paraphraser? D’écrire par exemple que parmi les enregistrements secrets du majordome, on pouvait entendre Patrice de Maistre dire à sa patronne que Florence Woerth travaillait pour elle parce qu’Eric Woerth avait demandé ce service à Maistre? Ou sont-ils censés se contenter de dire que les enregistrements évoquaient un tel accord passé entre les deux hommes?

Là, c’est moins clair. Pour Anne Cousin, «ils seraient dans leur droit de retracer le contenu [d’une conversation enregistrée illicitement] à la condition de faire un vrai commentaire du contenu». S’ils se contentaient de réécrire autrement les échanges, on serait «dans l’exécution de mauvaise foi de la décision», estime-t-elle.

Pour Caroline Mecary, il leur est possible de paraphraser, «dans la mesure où très souvent quand on est journaliste, on a accès à des informations qui dans bien des cas relèvent de la vie privée». Mais elle note tout de même qu’il faudrait trouver «la manière de les formuler habilement»

Quid des autres médias? Ils ne sont pas explicitement visés par l’arrêt, et peuvent donc en théorie tout à fait héberger les enregistrements ou en publier le contenu.

Sauf qu’ils s’exposent à une assignation en justice par Liliane Bettencourt. «Si vous publiez les enregistrements», explique Caroline Mecary, «vous êtes susceptibles d’être l’objet d’une procédure similaire de celle contre Mediapart, avec le précédent de l’arrêt rendu dans le cas Mediapart». Autrement dit, si Liliane Bettencourt vous assigne en justice parce que vous avez publié des enregistrements ou de longs extraits après cet arrêt, vous risquez encore plus gros que Mediapart.

«Même si ça s’adresse à Mediapart, c’est un message à tout le monde», conclut Anne Cousin. Reste que de nombreux extraits des enregistrements sont partout sur le web. Quand on cherche la citation de Maistre sur les Woerth, on trouve plus de 3.000 résultats...

C.D.

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