France

Jérôme Cahuzac mis en examen: a qui a-t-il menti?

L'ancien ministre a officiellement reconnu détenir un compte à l'étranger depuis vingt ans, jetant une lumière cruelle sur ses démentis en série (à la presse, à l'Elysée, à Matignon, à l'Assemblée...) des quatre derniers mois.

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Fin de partie pour Jérôme Cahuzac: l'ancien ministre délégué au Budget a reconnu, mardi 2 avril, dans une déclaration postée sur son site officiel (inaccessible pour l'heure mais disponible en intégralité sur Le Lab) avoir possédé un compte bancaire à l'étranger «depuis une vingtaine d'années» et avoir été pris «dans une spirale du mensonge» depuis la révélation de l'existence de ce compte par Mediapart, début décembre. Il a précisé avoir donné les instructions pour rapatrier les actifs de ce compte qui n'avait pas été abondé depuis une douzaine d'années, soit 600.000 euros.

Ses déclarations ont été publiées à la sortie du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris, où il avait été entendu plus tôt dans l'après-midi par les juges Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke, qui l'ont mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale. En début d'après-midi avait fuité l'information selon laquelle le Canard Enchaîné, dans son édition à paraître mercredi, allait affirmer qu'il avait pris rendez-vous avec les deux juges pour reconnaître les faits qui lui sont reprochés.

L'ancien député du Lot-et-Garonne présente ses «sincères et [...] profonds regrets» à l'Elysée et à Matignon ainsi qu'à ses «anciens collègues du gouvernement, [...] [ses] collègues parlementaires, [ses] électeurs, [les] Françaises et [les] Français». Il fait part d'«une lutte intérieure taraudante» et affirme avoir été pris «dans une spirale du mensonge» et être «dévasté par le remords» de cette «faute inqualifiable».

Rétrospectivement, la relecture de la série de dénégations fermes auxquelles s’est livré Jérôme Cahuzac pendant trois mois, à l’Assemblée nationale et dans les médias, s'avère un exercice cruel.

Le 4 décembre 2012, dans un communiqué

Le 4 décembre, alors que Mediapart publie un premier article sur la détention supposée par le ministre d'un compte en Suisse, ce dernier écrit sur son blog:

«Je réitère le démenti formel que j’ai apporté directement auprès de Mediapart: je n’ai jamais disposé d’un compte en Suisse ou ailleurs à l’étranger. Jamais.

Une plainte au pénal contre l’auteur de l’article et son directeur de la publication sera déposée dans les plus brefs délais pour diffamation. J’en ai donné le mandat à mes avocats.»

Le 5 décembre 2012, un jour sans fin

C'est peut-être LA grosse erreur: devant la représentation nationale, alors qu’un député UMP, Daniel Fasquelle, vient de lui demander de s’expliquer, le ministre du Budget prend le micro pour se lancer dans un démenti catégorique, des vibratos dans la voix, jouant le rôle de l'homme d'honneur à terre qu'il regrettera sans doute longtemps d'avoir laissé tourner sur YouTube...

«Je démens catégoriquement les allégations contenues sur le site Médiapart. Je n’ai pas, Monsieur le député, je n’ai jamais eu de compte à l'étranger, ni maintenant, ni avant. Je démens donc ces accusations et j’ai saisi la justice d’une plainte en diffamation [...].»

Auparavant, il avait également démenti les accusations de Mediapart à l'issue du conseil des ministres, comme le racontera le Figaro:

«Droit dans les yeux, François Hollande lui avait demandé une explication dès sa mise en cause à la fin de l'année dernière. C'était à l'issue du Conseil des ministres, le 5 décembre, en présence du premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Jérôme Cahuzac avait démenti catégoriquement l'existence d'un compte en Suisse.»

Pierre Moscovici racontera avoir reçu la même assurance de Jérôme Cahuzac:

«Quand quelqu'un avec qui je travaille bien, qui est un ami, se met en face de moi et me dit les yeux dans les yeux: "Voilà, je n'ai pas de compte en Suisse", j'ai confiance.»

Le même jour, il enfonce le clou dans une interview à Sud-Ouest:

«Assurez-vous ne jamais avoir possédé de comptes bancaires en Suisse à quelque moment de votre vie?

— Oui, je l'affirme. Jamais.»

Ce 5 décembre sera décidement la journée de toutes les erreurs. Mediapart affirme que Jérôme Cahuzac s’est rendu début janvier 2010 à Genève pour clôturer son compte, avant d’être élu président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale le 24 février.

Le 6 décembre 2012, dans un communiqué

Le ministre apporte sur son blog des précisions sur le financement de son appartement parisien, pour récuser l’hypothèse de Mediapart selon laquelle l’argent placé en Suisse a servi à la transaction:

«Je n’ai jamais détenu un compte en Suisse ou ailleurs à l’étranger. Jamais.»

Le 8 janvier 2013, dans un communiqué

Alors que le Parquet vient d’ouvrir une information judiciaire, le ministre du Budget fait part de sa «satisfaction»:

«Cette démarche permettra, comme il l'a toujours affirmé, de démontrer sa complète innocence des accusations absurdes dont il fait l'objet.»

Le 8 février 2013, sur RMC

«Vous en avez assez? Je vous sens... exaspéré... Je vous sens marqué...» Au micro de RMC, Jean-Jacques Bourdin aurait pu confesser, tel une Mireille Dumas du journalisme politique, Jérôme Cahuzac en live à l'issue de 6 minutes d'un ping-pong surréaliste autour de la demande faite par ce dernier à UBS de confirmer qu'il n'avait pas détenu de compte. Mais le ministre tient bon:

«Je n'ai pas, je n'ai jamais eu de compte en Suisse, Jean-Jacques Bourdin, à aucun moment.»

Mi-mars 2013, dans une interview au Nouvel Obs

C’est une des dernières occasions qu’aura eu Jérôme Cahuzac de démentir les accusations de Mediapart. Dans le Nouvel Obs, il se livre à un exercice d'autodéfense avec des formules de plus en plus alambiquées, révélant un véritable épuisement linguistique face aux assauts répétés des journalistes qui lui posent la même question depuis maintenant plus de trois mois:

«Vous n'avez jamais prononcé publiquement et clairement cette phrase simple: “L'homme qui parle sur l'enregistrement diffusé par Mediapart n'est pas moi.”

[…]

— Pourquoi nier l'accessoire quand on dément l'essentiel?»

Et, alors que le journaliste revient à la charge…

«Pouvez-vous affirmer ne pas être celui qui dit dans cet enregistrement: “Ca me fait chier d'avoir un compte à l'UBS?”», le ministre répond:

«Ce n'est pas moi parce que ça ne peut pas être moi!»

J.-L.C.

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