France / Politique

Sarkozy, un Américain en campagne

Les modèles de cette bête de scène ne sont pas de Gaulle mais les présidents conservateurs qui ont remporté un second mandat aux États-Unis depuis l’avènement de la Ve République.

Meeting à Nice, le 20 avril 2012. REUTERS/Philippe Wojazer
Meeting à Nice, le 20 avril 2012. REUTERS/Philippe Wojazer

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COMME C'EST CURIEUX D'ASSISTER (PEUT-ÊTRE) à la défaite du meilleur candidat. L’histoire américaine récente a vu avec constance la victoire de l’homme de scène politique le plus talentueux—Clinton contre Bush et Dole, Bush contre Gore et Kerry, Obama contre McCain—faisant naître le mythe injustifié chez ceux d’entre nous qui couvrons les élections qu’elles sont, en définitive, des tests de compétences individuelles.

Je n’ai pas regardé les apparitions quotidiennes de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, mais cette semaine j’ai pu les voir l’un après l’autre—lors de soirées meetings successives dans des villes assez proches du Nord-Pas de Calais—et je ne crois pas avoir jamais vu à un si haut niveau une telle différence entre les qualités d’orateur de deux candidats face au public.

Impossible d’exagérer la médiocrité de Hollande à Lille mardi dernier. On dirait qu’il parle avec une intensité toujours égale, qu’il émet un cri pressant qui semble vouloir couvrir le bruit de ses supporters. Il a l’air incapable de moduler son débit, ce qui n’est pas plus mal d’ailleurs car pas grand-chose dans son discours ne mérite d’être particulièrement souligné: pas une seule phrase digne d’être citée, pas d’image mémorable, pas un seul instant d’intimité avec son public, et aucun thème pour porter le tout.

Sarkozy, en revanche, s’est montré magistral quand je l’ai vu à Arras le lendemain soir. C’est l’un des hommes de scène politiques les plus impressionnants qu’il m’ait été donné de voir en personne, et son adresse le prouve—il a été capable de jouer les outsiders visionnaires annonçant des lendemains qui chantent en 2007, et de changer son fusil d’épaule lorsqu’il a été obligé de se représenter sous la mise du défenseur assiégé protégeant les valeurs nationales.

Son modèle ici est peut-être moins de Gaulle que les présidents conservateurs qui ont remporté un second mandat aux États-Unis depuis l’avènement de la Ve République; Sarkozy semble avoir volé les pages les plus mélodieuses du livre de cantiques de la réélection républicaine et les avoir traduites en français.

Il a fait sienne la politique de victimisation de Nixon, allant jusqu’à l’invocation d’une «majorité silencieuse.» L’admiration manifestée par Sarkozy pour l’obsession américaine de hisser le drapeau national ne peut s’expliquer que par son étude approfondie du clip de campagne de Reagan de 1984 «Morning in America».

Et de George W. Bush, Sarkozy a appris la leçon la plus importante pour un président impopulaire qui veut se faire réélire en temps de crise, comme il l'a montré dans son discours au soir de ce premier tour: il faut se débrouiller pour que les gens aient peur à l’idée de prendre le risque de se débarrasser de vous.

Sasha Issenberg

Traduit par Bérengère Viennot

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