France / Politique

François Hollande risque de se laisser enfermer par Jean-Luc Mélenchon

Le candidat du Front de gauche, s'il continue à monter, pourrait rendre plus difficile la conquête des voix du centre pour le socialiste au second tour.

François Hollande et Jean-Luc Mélenchon avant un conseil national du PS, le 29 juin 2002. REUTERS/Philippe Wojazer.
François Hollande et Jean-Luc Mélenchon avant un conseil national du PS, le 29 juin 2002. REUTERS/Philippe Wojazer.

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«Tout ce qui affaiblit François Hollande est bon pour Nicolas Sarkozy»: cette évidence énoncée par Laurent Fabius visait le désormais populaire Jean-Luc Mélenchon, au lendemain de son occupation, réussie, de la place de la Bastille. Au temps de Georges Marchais, que Jean-Luc Mélenchon fait revivre grâce à sa gouaille, à son sens du spectacle et à ses accents «révolutionnaires» —«Oui, on vous fera les poches», dit-il à l’adresse des «riches», là où le leader communiste proclamait «Au-dessus de 4.000 francs, je prends tout!»—, on parlait de «complicité objective».

De fait, en 1981, le PCF, pourtant allié du PS de François Mitterrand, avait souhaité, et joué, la réélection de Valéry Giscard d’Estaing. Jean-Luc Mélenchon joue-t-il celle de Nicolas Sarkozy? Ce dernier, dans la phase actuelle de la compagne où il tente un «TSH» (Tout Sauf Hollande) ne peut que tirer bénéfice de la montée du candidat du Front de gauche.

Il comble un vide à l'extrême gauche

A priori, pourtant, il n’en est rien. Sans nier les qualités objectives de l’ancien sénateur socialiste (est-ce au Palais Médicis qu’il a forgé son aspiration à «l’insurrection civique?») et actuel député européen (histoire sans doute d’approfondir son euro-négativisme), il est d’abord celui qui comble le vide laissé, à l’extrême gauche, par les absences d’Olivier Besancenot, d’Arlette Laguiller et d’un candidat communiste crédible.

Ces mouvements, additionnés, ont toujours représenté plus de 10% des suffrages, voire beaucoup plus. Il se situe donc, pour le moment, dans les eaux faibles de cette mouvance. L’enjeu est un électorat d’extrême gauche (on dit aujourd’hui une gauche «radicale») dont le souhait n’est pas de réélire Nicolas Sarkozy. Et quitte à enfreindre les consignes (comme ce fut le cas en 1981), cet électorat-là n’hésitera pas à voter François Hollande au second tour.

En revanche, si l’on passait, entre François Hollande et Jean-Luc Mélenchon, d’un rapport de un à cinq (situation en début de la campagne) à un rapport du simple au double, la perspective d’élection du candidat de la gauche serait nécessairement atteinte. Déjà, pour faire pièce à la montée du Front de gauche, François Hollande avait lancé sa fameuse imposition à 75% pour les revenus au-delà du million d’euros. Cette annonce, qui a commencé d’être révisée, a déjà ramené François Hollande du côté d’une gauche du ressentiment, l’éloignant d’une gauche de la raison.

Et s’il devait aller plus loin dans la radicalité, ce serait alors en effet la meilleure manière d’aider Nicolas Sarkozy dans l’opération qui lui sera la plus compliquée: faire revenir vers lui suffisamment d’électeurs de François Bayrou. Tel est le danger que fait peser la montée de Jean-Luc Mélenchon sur le candidat de la gauche: jusqu’à présent, Nicolas Sarkozy avait le monopole d’une tenaille structurelle qui l’obligeait à partir à la pêche aux voix de l’extrême droite et donc à se priver, potentiellement, des voix du centre.

Les voix du centre font la décision

Jean-Luc Mélenchon peut faire que François Hollande soit placé dans une tenaille de même nature: pour tenir compte d’une trop grande place de la gauche radicale, il rabattrait mécaniquement des voix du centre vers Nicolas Sarkozy. Or, on aurait garde d’oublier qu’en France, toujours, dans une compétition présidentielle, les voix du centre font la décision. Si François Hollande cédait trop sur sa gauche, il perdrait le meilleur de son positionnement: celui du candidat rassembleur face au président diviseur.

Ce serait un comble. Alors que la gauche, au long des années Mitterrand, s’était émancipée de la pression idéologique et politique du parti communiste pour donner naissance à une gauche de gouvernement, alors qu’Eva Joly par sa non-existence a libéré François Hollande de la pression que les écologistes souhaitait exercer, voilà qu’il est menacé de se laisser enfermer par le candidat d’un mouvement dont l’objectif ni l’espoir ne sont dans l’exercice du pouvoir, mais dans celui, confortable et rassurant, d’une fonction tribunitienne. A François Hollande de retrouver l’inspiration de son discours du Bourget, où avant de parler à la gauche, il avait parlé aux Français et à la France.

Jean-Marie Colombani

Cet article est originellement paru dans L'Express

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