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L'opération du Raid contre Mohamed Merah est-elle un échec?

Après l'assaut contre l'appartement de Mohamed Merah à Toulouse le 22 mars 2012, REUTERS/Jean-Paul Pelissier
Après l'assaut contre l'appartement de Mohamed Merah à Toulouse le 22 mars 2012, REUTERS/Jean-Paul Pelissier

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L’opération du Raid pour interpeller Mohamed Merah dans son appartement, débutée vers trois heures du matin mercredi 21 mars, a duré plus de 30 heures pour s’achever sur la mort du suspect, tué d’une balle dans la tête tirée par un sniper. Cette opération, au cours de laquelle trois policiers ont été blessés, a été qualifiée de «scandaleuse» et d’«échec opérationnel» par plusieurs membres éminents de la communauté du renseignement et du contre-terrorisme israélien. L’intervention du Raid est-elle vraiment un échec?

Quelques heures après son début, c’est le journaliste spécialiste de la sécurité du Monde Laurent Borredon qui, le premier, écrit sur son blog Vu de l’intérieur que les «policiers n'ont pas atteint leur objectif de départ». Il rapporte le témoignage anonyme d’un ancien du raid «expérimenté», selon lequel l’objectif était une intervention éclair:

«Ca a merdé. […] Quand on pénètre à l'intérieur d'un appartement, il y a toujours un risque que ça merde. Il faut que ça aille très, très vite, et on part avec un handicap de départ: le suspect connaît les lieux, pas nous.»

Le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a confirmé lui-même cet échec initial: «A 3h30, j’ai appelé le président de la République pour lui dire que cela ne se passait pas bien. Des fonctionnaires de police avaient été blessés.» Un policier présent à Toulouse a confirmé que la tentative de surprendre Mohamed Merah dans son sommeil «n'a pas fonctionné»: celui-ci était posté derrière sa porte et a tiré à la kalachnikov sur les policiers qui tentaient d’ouvrir la porte.

Un échec initial

Selon Jean-Dominique Merchet, journaliste et auditeur de l'Institut des hautes études de défense nationale, c’est la manière dont les policiers ont tenté de pénétrer dans l’appartement, avec un bélier, qui a rendu une opération éclair impossible, donnant du temps à Mohamed Merah pour riposter. Il écrit que des explosifs auraient été plus efficaces. Une source proche du raid a tenu à préciser en réaction à l’article du journaliste spécialiste des questions militaires:

«Nous n'avons pas utilisé d'explosifs lors de la première intervention, parce que, selon les informations fournies par la DCRI, nous avions affaire à un salafiste, susceptible d’avoir des explosifs lui-même et d’en avoir placé dans son appartement. Il y avait donc un risque de surexplosion, comme lors d'une intervention de la police espagnole (GEO) contre des terroristes après les attentats de Madrid - surexplosion qui avait tué des policiers.»

L’intervention éclair s’est donc transformée en opération de longue haleine pour tenter d’amener le forcené à se rendre. Les négociateurs du Raid entrent en scène et tentent de jouer sur «des ressorts affectifs, sur la famille: le but, c'est de lui montrer que la vie mérite d'être vécue», mais se rendent vite compte que Mohamed Merah ne se rendra pas. Le Raid mise alors sur «l'effet de la seconde nuit» qui met à l’épreuve la détermination de l’individu, explique dans les colonnes du Figaro Christophe Caupenne, ancien chef négociateur du Raid pendant 12 ans.

Négociation et patience

La durée du siège (32 heures) s'explique par le fait que les policiers voulaient «s'assurer que ce que le tueur voulait, ça n'était pas de sortir» nous a confié Christophe Caupenne. Selon lui, la thèse selon laquelle on aurait préféré ne pas le laisser sortir vivant ne tient pas: «ils auraient eu mille fois l’occasion de le tuer avant». Le patron du Raid, Amaury de Hauteclocque, confirme au blog Vu de l’intérieur:

«On a essayé de le fatiguer toute la nuit avant d'opérer la reprise des lieux.[…] Nous avons jusqu'au bout tenté de négocier la reddition. Il a annoncé mercredi à 22 h 45 qu'il voulait mourir les armes à la main, et c'est ce qu'il a fait.»

Les policiers n’ont-ils pas été assez patients? «On lui a laissé le choix du terrain, c'est-à-dire son appartement. Or, on savait qu'il allait en ressortir et il était possible de l'appréhender à ce moment là» analysent «des praticiens de ce genre d’activités» interrogés par Jean-Dominique Merchet.

Polémique politique

Mais avant même le dénouement du siège, la polémique politique autour de l’opération commence. C’est le député du Finistère et spécialiste des questions de sécurité au PS, Jean-Jacques Urvoas, qui ouvre les hostilités peu après 11 heures jeudi 22 mars, en s’interrogeant sur son compte Twitter alors que la mort de Mohamed Merah n’est pas encore confirmée :

«Si je comprends bien le RAID n’est donc pas capable en 30h d’aller chercher un individu seul dans un appartement?»

Après de nombreuses réactions indignées de la part d’élus de l'UMP, le député s’est ensuite excusé dans plusieurs tweets, affirmant que son message initial était «malvenu et inadapté au contexte» et rendant hommage aux membres du Raid. La candidate d’Europe Ecologie-Les Verts a choisi quant à elle d’attaquer le rôle de Claude Guéant pendant l’opération:

«Qu'a fait le ministre sur place en commentant en permanence, heure par heure, ce qui se passait ? Il a créé de la confusion. Quel est son rôle? Ce n'est pas lui qui dirige les opérations! C'est une violation du code de procédure pénale. […] J'ai été magistrate pendant plus de vingt ans [...] J'ai eu à faire face à des prises d'otage. Et j'ai appelé le Raid ou le Gign. Je connais leur pertinence, je sais qu'on peut leur faire confiance, mais c'était moi qui dirigeais les opérations et non pas le ministre».

Rivalité Raid-Gign

Mais la polémique n’est pas que politique: on retrouve parmi les nombreux experts qui analysent l’opération dans les médias deux grandes familles, les militaires d’un côté et les policiers de l’autre. Or en France, les policiers du Raid partagent le travail d’intervention en situation de crise avec le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (Gign). Nicolas Sarkozy a, de la prise d’otages de Neuilly à la tuerie de Toulouse, plutôt privilégié les premiers, et Toulouse, en tant que grande ville, est en zone police.

Selon L’Express, «officieusement, ces deux groupes s’opposent une concurrence farouche, alors qu’ils ne dépendent pas du même ministère (l’Intérieur pour le Raid, la Défense pour le Gign). Nicolas Sarkozy a depuis longtemps choisi son camp, et s’est à la longue constitué un véritable bras armé». Christophe Caupenne précise à Slate.fr que les deux services ont exactement les mêmes missions.

L’intervention médiatique, et fortement critiquée par les syndicats de police, de Christian Prouteau, fondateur du Gign, est à lire à la lumière de cette rivalité. Le gendarme s'est interrogé vendredi 23 mars:

«Comment se fait-il que la meilleure unité de la police ne réussisse pas à arrêter un homme tout seul? […] Il fallait le bourrer de gaz lacrymogène. Il n’aurait pas tenu cinq minutes. Au lieu de ça, ils ont balancé des grenades à tour de bras. Résultat: ça a mis le forcené dans un état psychologique qui l’a incité à continuer sa "guerre".»

Réponse d’une source anonyme proche du Raid sur le blog Secret Défense:

«Nous n’utilisons pas de gaz. Les seules personnes que je connais qui utilisent des gaz ce sont les anesthésistes, et ils tiennent la main à leur patient, le surveillent tout le temps et l’accompagnent à leur réveil car il y a toujours un risque. Si nous l’avions gazé et qu’en ouvrant la porte ensuite nous l’avions trouvé mort, s’il avait fait partie du pourcentage de gens qui ne le supportent pas, quelles auraient été les réactions? On se souvient de la polémique après les morts au théâtre de Moscou.»

La Cour européenne des droits de l’Homme (Cedh) a récemment condamné la Russie à payer plus d’un million d’euro aux victimes de l’assaut du théâtre Doubrovka en 2002, au cours duquel les forces spéciales russes ont tué 130 spectateurs otages avec du gaz paralysant.

Si les avis divergent sur le niveau de réussite de l'opération, beaucoup s'accordent sur un point: une fois l'intervention éclair échouée, attraper Mohamed Merah, qui a prouvé sa détermination à plusieurs reprises, vivant était devenu une mission très difficile.

Grégoire Fleurot

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