France / Politique

La «majorité silencieuse», cet héritage de Mai-68 que Nicolas Sarkozy ne liquide pas

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LORS DE SON PASSAGE À DES PAROLES ET DES ACTES, MARDI 6 MARS, Nicolas Sarkozy a expliqué qu’il dédierait une éventuelle victoire aux «anonymes» et à la «majorité silencieuse, toujours présente dans les salles». Cette dernière expression, immédiatement reprise en titre d’un communiqué par son conseiller Guillaume Peltier, est un classique du répertoire de la droite française depuis plus de quarante ans. Le président de la République y a d’ailleurs eu recours (de même que ses soutiens mais aussi une de ses adversaires, Marine Le Pen) plusieurs fois depuis le début de la campagne, notamment devant la presse lors de son déplacement mouvementé à Bayonne:

«C'est inadmissible. Ces manifestations sont le fait d'indépendantistes basques et de militants socialistes. Si c'est cela que nous propose Monsieur Hollande, on n'a pas envie de les voir venir. Moi, je suis venu à la rencontre de la majorité silencieuse.»

Déjà, en octobre 2010, pendant les manifestations contre la réforme des retraites, le président affirmait agir au nom de cette majorité silencieuse, de même qu’au début de la crise économique, lors d’un discours à Saint-Quentin (Aisne), le 24 mars 2009, où il vantait «cette majorité silencieuse qui n'a pas les moyens de se mettre en grève [ou] de manifester». Il employait aussi cette expression en juillet 2009 lors d’une réunion privée avec des militants de l’UMP relatée par Le Point:

«Jamais je n'ai eu autant besoin de vous, cette majorité silencieuse, cette force militante.»

Cela lui avait plutôt réussi en 2007, époque où son futur ministre Luc Chatel voyait dans les résultats du premier tour de la présidentielle «l’expression de la majorité silencieuse», que le candidat définissait comme «la France qui paye pour ceux qui profitent du système». Et qu’il appelait à ses côtés entre les deux tours lors de son meeting de Bercy:  

«Je lui demande, à cette majorité silencieuse, de se lever, de m'aider et de construire la victoire de nos idées.»

Ce meeting était aussi celui où il avait appelé à liquider «une bonne fois pour toutes» l’héritage de mai 68… dont fait justement partie l’expression «majorité silencieuse», qui s’est constituée a posteriori pour résumer l’opposition au mouvement, de la grande manifestation de soutien à De Gaulle sur les Champs-Elysées le 30 mai 1968 à la victoire écrasante de la droite aux législatives de juin.

Dans une étude sur le sujet [PDF], l’historien Frédéric Bas a relevé la première utilisation de cette expression exacte dans la bouche de Richard Nixon, le 3 novembre 1969, mais elle avait été esquissée par Valéry Giscard d’Estaing le 19 mai 1968:

«Jusqu'ici, le plus grand nombre des Français épris d'ordre, de liberté et de progrès, et qui n'accepte ni l'arbitraire, ni l'anarchie est resté silencieux. S'il le faut, il doit être prêt à s'exprimer.»

La «majorité silencieuse» reste néanmoins surtout attachée à la personne de Georges Pompidou, qui l’a invoquée pour la première fois le 16 mai 1970 dans un discours à Murat (Cantal):

«Il faut que le gouvernement fasse son devoir, il faut aussi que le pays le soutienne, et que ce qu'on se met à appeler d'un terme à la mode la majorité silencieuse précisément ne soit pas silencieuse, et s'exprime, et sache s'exprimer et se faire entendre.»

Photo: la manifestation de soutien au général de Gaulle du 30 mai 1968 (INA).

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