France / Politique

François Hollande, solide comme un socle

Le candidat socialiste a réussi à inscrire sa démarche dans le fil du grand récit de la République.

Au Bourget, le 22 janvier 2012. REUTERS/Fred Dufour/Pool
Au Bourget, le 22 janvier 2012. REUTERS/Fred Dufour/Pool

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Le discours de François Hollande au Bourget a bel et bien été un moment clé de la campagne présidentielle. Pas encore décisif certes, mais important au point qu’il y a désormais un avant et un après. 

L’avant Le Bourget était en fait dicté par l’agenda de Nicolas Sarkozy et les éléments de langage de son état-major qu’il avait réussi à diffuser au point d’en faire le commentaire dominant. A savoir: la gauche n’a rien d’autre à offrir que la déraison (promesses inconsidérées, chiffrages intenables); elle est en outre affligée d’un candidat qui n’est pas à la hauteur.

Ce faisant, les partisans de Nicolas Sarkozy ont méconnu deux règles élémentaires de toute campagne électorale :

1/ Au moment où se déroule, aux yeux des Français, le seul débat qui puisse leur permettre d’infléchir leur destin, il est en effet maladroit de paraître vouloir les en priver.

S’il y a un argument que les Français n’admettent pas, c’est bien celui de l’absence d’alternative. Même si on peut discuter de l’ampleur de cette alternative, l’idée qu’il n’existerait pas d’autre politique se retourne le plus souvent contre celui qui l’emploie.

2/ Quant au discrédit jeté sur l’adversaire, il a toute chance également d’être contre-productif. Petit rappel: en 1981, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle (avec un Giscard à 30% et un Mitterrand à 25%), à la question de savoir qui a «l’étoffe» d’un président, les Français avaient répondu Giscard à plus de 60% et Mitterrand à moins de 30%. 

Que croyez-vous qu’il arriva? Le candidat de la gauche fut élu avec près de 52% des suffrages. Nicolas Sarkozy gardera donc jusqu’au bout ce qui lui appartient en propre: il est Président, il exerce la fonction; il l’emporte donc, sur ce critère, nécessairement sur son rival.

Mais cet avantage n’est pas un handicap pour François Hollande. D’autant que le discrédit avait déjà été tenté en vain par Martine Aubry et son célèbre «il est mou, il est flou» («et quand c’est flou, il y a un loup!»).

La droite a repris cette critique sans plus de succès. D’une certaine façon, la polémique sur le triple A a symbolisé l’échec de cette stratégie sarkozyenne de l’avant Le Bourget. Le triple A avait été présenté à la fois comme un certificat de bonne gestion décerné au Président et comme une garantie de perte, donc de mauvaise gestion, si François Hollande venait à être élu.

Sous-estimé

Ce schéma s’est fort logiquement retourné contre son auteur. Le climat d’avant Le Bourget ne pouvait pas être mieux préparé.

Restait évidemment à être capable de se saisir de ce moment. Ce que François Hollande a fait. Et probablement en a-t-il surpris plus d’un, lui qui avait été constamment sous-estimé, par ses adversaires socialistes d’abord au moment des primaires, puis par Nicolas Sarkozy au long de la première phase de cette campagne présidentielle. 

La première réussite de l’après Le Bourget est donc celle-là : avoir rassuré sur lui-même et sur sa capacité à mener campagne à bonne hauteur. Il a su parler de lui, parler à la gauche et parler au pays. 

La partie la plus facile était la première, celle qu’il a consacrée à sa conception de la présidence de la République. En tous points à l’opposé de la pratique sarkozyenne. C’est là d’ailleurs que l’idée d’un Président «normal» prend tout son sens.

Costume

S’il est vrai que les Français sont las du gouvernement d’un seul, dans un costume taillé pour De Gaulle, alors ils peuvent choisir un François Hollande qui prône une présidence modeste, c’est-à-dire un Président aidé d’un gouvernement qui existe, de ministres qui pèsent, d’un parlement qui peut faire contrepoids, etc… (d’autant qu’il s’est engagé à introduire une dose de proportionnelle pour les élections législatives).

La seconde partie était directement inspirée des principes de base du mitterrandisme dont l’essence a été de réconcilier la gauche et la France. «L’âme de la France», a-t-il expliqué en substance, c’est la quête de l’égalité.

On retrouve là le principal enseignement du premier, et à ce stade, seul Président socialiste de la Ve République, à savoir: énoncer les grands principes dont on se réclame, inscrire sa démarche dans le fil du grand récit de la République, et ainsi pouvoir s’adapter aux circonstances sans jamais laisser oublier ce double ancrage.

C’est ainsi que l’élu de 1981 – «la rupture avec le capitalisme» - a pu devenir celui de 1983 qui décréta, avec l’aide de Pierre Mauroy et Jacques Delors, la transition de la France vers l’économie de marché.

François Hollande est né à la politique sous François Mitterrand (il a été le directeur de cabinet de Max Gallo qui était alors le porte-parole du gouvernement!) et sa filiation idéologique est bien celle de Jacques Delors.

Et l’on trouve, dans le discours du Bourget, l’énoncé des grands principes (la priorité à la justice sociale!, l’égalité) et l’affirmation que les équilibres devront être rétablis, que pas une dépense ne sera engagée qui ne soit gagée sur des recettes ou sur des économies dans d’autres secteurs.

La réponse de Sarkozy, la nouveauté Bayrou

Il va de soi que tous ces éléments vont désormais nourrir le débat de l’après Le Bourget. Mais, sans attendre le débat de fond et la réponse de Nicolas Sarkozy, prévue à la fin du mois, quelques paramètres politiques ont déjà bougé.

Depuis la fin des primaires, le rapport des forces n’a pas vraiment varié: les intentions de vote de second tour sont stables en faveur de François Hollande. Une partie du commentaire tournait autour de l’idée d’une bataille à quatre, qui était plus un souhait qu’une réalité constatée: la mesure des intentions de vote a constamment placé François Hollande et Nicolas Sarkozy en position d’être au second tour. La nouveauté a pour symbole la couverture du Figaro Magazine de ce week-end consacrée à François Bayrou.

Or ce dernier semble désormais convaincu de pouvoir figurer lui-même au deuxième tour, non pas comme il l’avait fait en 2007, en récupérant une part de l’électorat socialiste (plus personne en effet ne pourra soutenir que Hollande n’est pas un candidat crédible, à l’inverse de Ségolène Royal), mais en attirant à lui cette part de l’électorat de la droite qui soit ne souhaite pas, soit n’est pas convaincue de la possibilité pour Nicolas Sarkozy d’être réélu. 

Argument de François Bayrou: un face à face entre lui-même et François Hollande serait la garantie d’une bataille ouverte, donc d’un deuxième tour incertain; à l’inverse donc, d’un duel Sarkozy/Hollande. C’est un enjeu stratégique majeur, car il faut garder à l’esprit que le niveau élevé des intentions de vote de second tour en faveur de François Hollande provient notamment d’un très bon report des voix de Bayrou du premier tour. 

Il en irait tout autrement bien sûr si Bayrou était lui-même présent à ce second tour. A la condition que ce dernier soit capable de convaincre la droite qu’il serait pour elle un meilleur candidat que Nicolas Sarkozy.

Jean-Marie Colombani

Photo de une: Au Bourget, le 22 janvier 2012. REUTERS/Fred Dufour/Pool

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