Temps de lecture: 5 minutes
Voilà, c'est fini: Twitter est mort. L'aventure a été belle. Et aussi brève que bruyante. Malheureusement, son destin sera bientôt celui de Flappy Bird. C'est en tout cas ce que prétend le magazine américain The Atlantic, dans un long «éloge funéraire pour Twitter», qui ne dépasse pourtant pas les 140 caractères en arguments factuels. Nul besoin de lire tout l'article –le quatrième paragraphe en est un parfait résumé:
«La plateforme de publication qui nous a fait rentrer dans l'ère de l'Internet mobile est sur le déclin. Son influence éditoriale demeurera, mais sa place dans la culture Internet est en train de changer avec un goût d'irréversible et rappelle ce qui a pu se passer avec AIM et les blogs pré-2005. Ce papier repose en grande partie sur nos impressions».
Au moins, The Atlantic a l'heur d'admettre que son réquisitoire contre Twitter relève d'une intuition dénuée du moindre fondement. Du côté de Wall Stret, par contre, c'est sur la base de preuves sélectives que les investisseurs déclassent en masse les actions de la société. Deux chiffres en particulier –combien d'utilisateurs se connectent sur Twitter tous les mois, et combien de timelines ils consultent– ont largement été interprétés comme une condamnation sans appel de la trajectoire de croissance de l'entreprise. Deux tendances en hausse, mais à un rythme qui se ralentit légèrement. Twitter n'aura probablement jamais autant d'utilisateurs que Facebook, Wall Street vient tout juste de le réaliser et Wall Street n'est pas content.
Mais Wall Street –et tous ceux qui s'en prennent à Twitter à cause de son «problème de croissance»– commet une erreur en le comparant à Facebook. Twitter n'est pas un réseau social. En tout cas, pas principalement. Ça se rapproche davantage d'une plateforme média sociale, en accentuant surtout le côté «plateforme média». Et les plateformes médias n'ont pas à être jugées avec les mêmes outils de mesure que les réseaux sociaux.
Une plateforme média
Les réseaux sociaux relient les gens les uns aux autres. Des liens qui, en tendance, sont réciproques. D'ailleurs, de temps en temps, Facebook vérifie que vous avez réellement croisé les gens à qui vous envoyez des demandes d'amis. En tant que réseau social, sa fonction principale est d'aider les amis, les familles et les connaissances à rester en contact.
A l'inverse, les plateformes média lient des éditeurs de contenu à leur public. Globalement, de tels liens ne sont pas réciproques. Une utilisatrice de Twitter peut être suivie par des millions d'inconnus, sans jamais se sentir obligée de les suivre à son tour, de la même manière qu'une journaliste télé ne va pas aller au contact du moindre téléspectateur qui la regarde tous les soirs.
En tant que plateforme média, la fonction principale de Twitter est d'aider les gens à se tenir au courant de ce qui se passe dans le monde, et de savoir ce que des gens influents pensent et font à tel ou tel moment. Dans ce sens, cela relève davantage d'un service d'infos que d'un réseau social.
Et ce n'est pas un hasard: un des tournants de son développement est survenu quand ses premiers employés tweetèrent à propos d'un petit séisme qu'ils venaient de ressentir. Et le PDG de Twitter, Dick Costolo, est aussi le fondateur de Feedburner, un gestionnaire de flux RSS racheté par Google. Twitter est aux infos ce qu'Instagram est à la photographie.
Certes, il y a des gens sur Twitter qui tweetent en privé et qui ne suivent que leurs vrais amis, de la même manière que, sur Facebook, une certaine catégorie d'utilisateurs poste en mode public et permet à des inconnus de les suivre. Mais si ces twittos privés sont conséquents en nombre, ils ne constituent pas l'identité de Twitter.
C'est ce que Wall Street doit comprendre: vu que Facebook est constitué d'un grand nombre d'utilisateurs globalement comparables, son volume d'«utilisateurs mensuels actifs» est une mesure pertinente de son ampleur et de sa croissance. Twitter est constitué d'un nombre relativement moindre de personnalités diffusant directement et publiquement leurs messages à un auditoire un peu plus conséquent. Ce qui fait, qu'au mieux, ses «utilisateurs mensuels actifs» ne peuvent être qu'une mesure approximative, vu qu'un groupe d'utilisateurs est très différent de l'autre.
Twitter hors de Twitter
Pour compliquer davantage les choses, quand les utilisateurs les plus influents de Twitter tweetent, ils n'espèrent pas être uniquement lus par les gens qui les suivent directement. Ils considèrent plutôt la plateforme comme une interview télé et Twitter leur sert pour sortir des infos, asseoir un argument, nourrir leur marque, parfaire leur image publique. C'est parce qu'ils savent que l'écho de certains de leurs tweets dépassera le seul cadre de Twitter.com et de ses applications mobiles. La photo tweetée par Barack Obama lors de sa réélection a été vue par des dizaines de millions d'Américains qui n’avaient jamais utilisé Twitter. Idem pour Ellen DeGeneres et son selfie des Oscars.
Les utilisateurs actifs de Twitter ne sont donc que la portion la plus facilement mesurable de son audience. Et le nombre de timelines consultées sur le site ou les applications ne correspondent pas à l'ampleur bien plus conséquente du service.
Même si vous ne vous êtes jamais inscrit sur Twitter, vous avez certainement fait partie du public de certains tweets, que ce soit en les voyant passer à la télévision, en les entendant citer à la radio ou parce qu'ils sont intégrés dans des articles, comme ici. Et que vous le vouliez ou non, vous en croiserez sans doute encore davantage dans les mois ou les années à venir. Pour autant, vous ne ferez pas partie des mesures choisies par Wall Street pour évaluer la croissance de Twitter.
Bien sûr, les utilisateurs actifs et les timelines consultées ont une certaine pertinence pour Twitter. C'est important parce que, du moins à l'heure actuelle, les timelines consultées directement par des utilisateurs inscrits sont la forme d'engagement que Twitter peut quasi instantanément transformer en argent. Les annonceurs achètent des tweets sponsorisés qui s'afficheront dans les timelines des utilisateurs en fonction de leurs centres d'intérêts et de ce qu'ils sont le plus à même de faire à tel ou tel moment (regarder Mad Men ou le Super Bowl, par exemple).
C'est un business model très proche de celui de Facebook. Et si vous visitez Twitter.com sans y être inscrit, vous ne verrez pas grand-chose. Ce qui renforce l'idée que Twitter est inutile pour ceux qui n'ont aucun intérêt à tweeter et empêche Twitter de montrer des pubs à des non-utilisateurs.
Plus YouTube que Facebook
Deux choses qui vont probablement de changer. Grâce à MoPub, une plateforme publicitaire mobile que Twitter a achetée l'an dernier, l'entreprise peut déjà faire de l'argent via des pubs apparaissant en dehors de Twitter, sur des applications tierces. (Voyez comment, grâce à AdSense, Google peut toucher des gens aux quatre coins d'Internet, même s'ils n'utilisent pas directement Google). Twitter a 255 millions d'utilisateurs actifs, mais se targue de pouvoir d'ores et déjà toucher 1 milliard d'utilisateurs iOS et Android grâce à MoPub.
A l'avenir, Twitter trouvera probablement d'autres moyens pour capitaliser sa vaste et indirecte audience. Par exemple, ces tweets que vous voyez intégrés dans les articles pourraient avoir leurs propres pubs, comme celles qui se déclenchent automatiquement avant les vidéos YouTube. C'est ce que Dick Costolo, PDG de Twitter, a laissé entendre mercredi dans une interview sur CNBC.
La comparaison avec YouTube est bien plus pertinente qu'il n'y paraît. A l'instar de Twitter, YouTube possède deux sortes d'utilisateurs: les créateurs de contenu et les spectateurs. La différence, c'est que vous pouvez consulter l'intégralité de YouTube même si vous arrivez sur le site sans y être inscrit. Et de la sorte, YouTube peut revendiquer plus d'un milliard de «visiteurs uniques» par mois –une mesure bien plus adaptée aux plateformes média qu'aux réseaux sociaux.
Ne soyez pas surpris si Twitter se met de plus en plus à ressembler à YouTube, en transformant sa page d'accueil en une plateforme d'infos en temps réel accessible à tous, inscrits ou non. Ce qui permettra, pour la première fois, d'étendre sa base d'utilisateurs à la majorité d'Américains qui ne voient pas l'intérêt de tweeter ni de hiérarchiser leur propre timeline. Si et quand cela arrivera, je doute qu'on entende encore parler du problème de croissance de Twitter –et encore moins de sa disparition.
Will Oremus
Traduit par Peggy Sastre