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L'agonie de Chris McCandless, piégé par la nature

Au printemps 1992, le jeune routard s'enfonce seul dans les profondeurs de l'Alaska et se retrouve pris au piège. Son histoire tragique inspira le film «Into the Wild».

Seul au milieu de la forêt, Chris McCandless est décédé au bout d'une lente agonie. | Jplenio via <a href="https://pixabay.com/fr/photos/forest-conif%C3%A8res-for%C3%AAt-de-conif%C3%A8res-3082836/">Pixabay</a>
Seul au milieu de la forêt, Chris McCandless est décédé au bout d'une lente agonie. | Jplenio via Pixabay

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Un duvet, une tente, un manuel de botanique, un couteau suisse, une canne à pêche et une carabine Remington semi-automatique. Une dizaine de bouquins et pour seules provisions un sac de cinq kilos de riz.

Voilà le peu qu'emporte Chris McCandless avec lui lorsqu'il s'engage fin avril 1992 sur la piste Stampede, un chemin enneigé qui serpente vers le Parc national du Denali, au cœur de l'Alaska. Quatre mois plus tard, il sera retrouvé mort par des chasseurs de la région.

La mésaventure de cet Américain de 24 ans n'aurait pu rester qu'un fait divers sordide, semblable au titre de cette brève parue dans le New York Times au mois de septembre 1992, peu après la découverte de son corps squelettique dans une vieille carcasse d'autobus abandonnée en pleine nature: «agonisant dans la forêt, un randonneur note ses derniers instants».

Mais l'histoire de ce jeune aventurier mort de faim au beau milieu de l'Alaska est devenue un mythe, scellé quinze ans après sa disparition par le succès mondial du film Into the Wild.

 

 

Sans la passionnante enquête menée par le journaliste américain Jon Krakauer, qui publia en 1996 un livre retraçant les pérégrinations de Chris McCandless –traduit en français douze ans plus tard sous le titre Into the Wild, Voyage au bout de la solitude aux Presses de la Cité–, on n'aurait sans doute jamais rien su de ce jeune idéaliste qui avait soif d'aventure et de solitude.

Don de ses économies

Au début du printemps 1992, cela fait presque deux ans qu'il vagabonde à travers l'Amérique, en stop ou caché dans les trains de marchandises.

Juste après avoir décroché son diplôme universitaire à l'université Emory, à Atlanta, Chris McCandless a tout plaqué. Il a rendu les clefs de sa chambre d'étudiant, fait don de ses 24.000 dollars d'économies à une association caritative et pris la route de l'Ouest au volant de sa voiture, sans autre but que de voir du pays et de commencer enfin à vivre comme il l'entend.

Il abandonne bientôt sa voiture et brûle ses derniers billets, préférant tailler la route à l'ancienne. Il est devenu un hobo, un de ces «clochards célestes» du bord des routes des romans de Kerouac. Il s'est rebaptisé Alexander Supertramp et tient un drôle de journal intime dans lequel il relate ses aventures quotidiennes, parlant de lui à la troisième personne.

Il ne s'arrête jamais plus que quelques semaines au même endroit, le temps de gagner l'argent nécessaire dans les champs ou l'arrière-cuisine d'un fast-food pour pouvoir continuer son périple à travers l'Amérique.

Sa fascination pour l'Alaska remonte à l'enfance: depuis qu'il a lu L'Appel de la forêt, il rêve de partir à la découverte du Grand Nord, de «se perdre», comme il aime à le répéter, dans cette nature sauvage, hostile mais puissamment belle, inaccessible au commun des mortels.

Son «odyssée en Alaska», comme il l'appelle, il en parle avec les yeux qui brillent à tous ceux qui croisent sa route dans les mois qui précèdent son départ.

Quête quasi mystique

Chris McCandless considère cette retraite à l'écart du monde comme le summum de ses deux années d'errance. Sa quête est quasi mystique. Non seulement il veut se prouver à lui-même qu'il est capable de survivre seul en pleine nature, dans des conditions extrêmes –et c'est pour cette raison qu'il part volontairement avec un équipement rudimentaire et très peu de vivres–, mais il vit surtout ce séjour en terre inconnue comme un retour aux sources libérateur.

Le jeune homme abhorre le rêve américain et la culture capitaliste dans laquelle il a grandi. Il est fasciné par les écrits du philosophe américain Henry David Thoreau, chantre de la décroissance et de la désobéissance civile, dont il a emporté avec lui Walden ou la Vie dans les bois, le récit d'un exil volontaire dans une cabane en pleine forêt.

Plus que la société américaine, c'est sa famille qu'il fuit. Il a totalement coupé les ponts avec ses parents avant de se volatiliser. Par respect pour les proches de Chris McCandless, Jon Krakauer ne s'était pas étendu dans son livre sur les rapports tendus qu'il avait avec ses parents.

C'est sa sœur Carine, dont Chris était très proche, qui a fini des années plus tard par cracher le morceau. Dans Into the Wild, L'Histoire de mon frère, paru en français chez Arthaud en 2016, elle décrit l'enfance infernale que leur ont infligé des parents violents.

Chris prévoyait depuis longtemps de «divorcer» d'avec ses parents, comme il l'avait annoncé un jour à sa sœur. Sa disparition à l'été 1990 n'a donc rien d'un coup de tête.

«Découvrir un point blanc»

Seul au beau milieu d'une forêt de conifères, Chris occupe ses journées à lire, à chasser du petit gibier, déterrer des racines et cueillir des baies. Il a établi son campement dans une épave d'autobus utilisée parfois par quelques chasseurs du coin, que dans son enthousiasme il surnomme le «magic bus».

 

Malgré ses prises fréquentes à la chasse –des écureuils, des porc-épics, et une fois même un élan–, qu'il rapporte soigneusement dans son journal et qu'il photographie, Chris ne cesse de s'amaigrir au fil des semaines, ses repas frugaux ne suffisant pas à le nourrir.

Au bout de deux mois, affamé et satisfait d'être allé jusqu'au bout de son rêve, il décide de reprendre le chemin de la civilisation. Mais se retrouve bloqué au bout de quelques jours de marche par une rivière en crue. La même qu'il avait pu traverser sans peine à son arrivée, mais qui est désormais impossible à franchir, le cours d'eau étant gonflé par la fonte des glaciers à cette période de l'année.

Si le jeune homme avait été muni d'une carte topographique, il aurait sans doute remarqué qu'il était possible de traverser la rivière Teklanika à quelques kilomètres en aval de là où il se trouvait.

Dans son livre, Jon Krakauer fait l'hypothèse que Chris avait délibérément renoncé à emporter une carte avec lui: «En venant en Alaska, McCandless désirait marcher dans une terre vierge, découvrir un point blanc sur la carte. Mais en 1992, il n'y avait plus de points blancs sur les cartes, ni en Alaska, ni ailleurs. Alors Chris, avec sa logique particulière, trouva une solution élégante: il supprima la carte, tout simplement.»

Lente agonie

Se croyant pris au piège, Chris n'a alors d'autre choix que de reprendre la direction du vieux bus. Il vivote encore quelques semaines, avant de tomber malade fin juillet.

Son corps décharné, rongé par la faim, n'est plus en mesure d'éliminer les toxines contenues dans les graines de pommes de terre sauvages qu'il consomme faute de viande. Son état s'aggrave de jour en jour, son journal devient de plus en plus elliptique.

Il laisse un message de détresse sur la porte du bus au cas peu probable où des promeneurs viendraient à passer par là. Couché dans son duvet à l'intérieur de l'épave, le jeune homme décède au bout d'une lente agonie de trois semaines. Il ne pèse alors plus qu'une trentaine de kilos.

Ironie du sort, la terra incognita où Chris a survécu une centaine de jours dans la solitude la plus complète est aujourd'hui une zone très fréquentée par les adeptes de la randonnée les mois d'été.

Quelques casse-cous vont jusqu'à suivre le même itinéraire que leur héros tragique pour y accéder. Un site internet créé par un fan dispense même des conseils pratiques pour échapper aux grizzlys et aux rapides de la Teklanika à celles et ceux qui veulent se lancer dans ce pèlerinage lugubre.

Le but ultime de l'aventure? Se faire photographier devant son tombeau de métal rouillé, si possible en prenant la même pose que sur son célèbre autoportrait.

Au mois de juillet 2019, une touriste biélorusse de 24 ans s'est noyée en tentant de rejoindre le «magic bus». 

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