Culture

Deauville, la ville un peu décevante (surtout sans Trintignant)

J'ai regardé mille fois les vitrines avec l'impression d'être celle qui était entourée de verre.

Helena Noguerra dans <em>Hôtel Normandy </em>de Charles Nemes (2013). | Capture d'écran via YouTube
Helena Noguerra dans Hôtel Normandy de Charles Nemes (2013). | Capture d'écran via YouTube

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Je me demande souvent comment on vit, à Deauville, hors des films et des festivals de films. La ville est si belle, comme conservée. Elle vit cinéma.

Entre luxe ostentatoire et poésie des planches, Deauville semble être le lieu idéal pour se faire passer pour quelqu'un d'autre, voire même où se cacher quand on n'a pas beaucoup d'imagination. C'est la ville des Parisien·nes qui ne sont pas à Paris.

Dans Les Amis de Gérard Blain, Philippe et Paul (qui sont beaucoup plus que des amis) choisissent Deauville comme théâtre de leurs amours interdites.

Mais la réalité les rattrape puisque la ville est aussi un théâtre social à la froide dureté. Paul, laissé seul, se surprendra à rêver d'une autre vie, de la jeune amante blonde et bien née aux cours d'équitation.

Une âme dans une coquille vide

Dans la plus récente comédie Hôtel Normandy, Deauville devient vaudeville. Mais l'esprit de la ville reste: on s'y fait passer pour ce qu'on n'est pas. Helena Noguerra, banquière au cœur brisé, jouera la séductrice de l'hôtel Normandy jusqu'au CID et sa Biennale d'art contemporain.
 

Le CID, les cinéphiles le connaissent bien. À deux pas des mythiques planches, le Centre International de Deauville abrite une grande salle de projection qui devient le cœur de la ville à chaque festival de septième art (celui consacré au cinéma américain, chaque mois de septembre; et le regretté festival du film asiatique, dont la seizième et dernière édition a eu lieu en mars 2014).

La Biennale est une excuse pour Helena Noguerra. On la retrouvera bien vite, robe Hermès et Louboutin crème, en train de pleurer sur les planches. Il pleut sur ses joues comme il pleut traditionnellement sur la ville.

Dans Les Amis, Paul écrit: «Il fait très beau. Il paraît que c'est rare en Normandie.» Dans Bob le Flambeur, la pluie tombe sans réserve sur la ville normande.

Depuis le film de casse de Melville, la ville ne semble pas avoir changé. On retrouve la même rue principale, le même casino, la même fontaine au rond-point. Et toujours, Deauville est liée à Paris, comme jumelée avec la capitale.

Les personnages deauvillais de Gérard Blain sont en fait des Parisien·nes en goguette. Pareil dans Hôtel Normandy. Et si le casino de Deauville est la cible de Bob de Flambeur, c'est à Pigalle et à Montmartre qu'il fomente son plan.

Un homme et une femme font le trajet chaque semaine. Lui et elle, charmantes solitudes, se croisent le dimanche au moment de laisser leurs enfants en pension.

Si Deauville a toujours été une coquille vide, Claude Lelouch lui a donné une âme. De la Ford Mustang décapotable qui roule sur la plage au plateau de fruits de mer, c'est de là que viennent les clichés deauvillais. Ils viennent du sourire d'Anouk Aimée, de la fougue de Jean-Louis Trintignant. Des décennies plus tard, Vincent Delerm chantera «C'est un peu décevant, Deauville sans Trintignant». C'est on ne peut plus vrai.
 

Avalée par Paris

Deauville est un décor. Elle est un mausolée. Des fantômes s'y promènent entre deux vieilles dames endimanchées avec leurs petits chiens. On y croise l'esprit du Valmont de Roger Vadim, qui décide de ne vivre ses amours sincères avec la pure Marianne qu'en Normandie. On s'embrasse avec passion sur la plage. Mais Valmont meurt et Marianne devient folle. La demeure à colombages devient un tombeau.

Deauville n'a pas rempli ses promesses. Elle s'est fait manger par Paris, la musique de Thelonius Monk dans des soirées débauchées, Boris Vian en ministre, Jeanne Moreau en sinistre Merteuil.
 

Le petit Paul de Gérard Blain y a cru aussi. Il a cru pouvoir faire semblant d'appartenir à la jeunesse dorée. Celle qui s'acoquine l'été dans la demeure familiale et ne rentre à Paris que pour ses unions arrangées avec des héritiers et des héritières de même classe. On se gargarise de ses prestigieuses études et on s'ennuie Chez Miocque.

Paul a passé quelques semaines à faire semblant, mais son âme d'artiste l'a rattrapé. Finalement, Deauville la douce-amère lui a donné envie de se battre, de devenir ce qu'il a toujours été amené à devenir, à accepter ce que Philippe a essayé de lui transmettre. À Deauville, l'eau est glacée. Et les riches héritières sont difficiles à réchauffer.
 

Je ne me suis jamais sentie à ma place à Deauville. J'ai regardé mille fois les vitrines avec l'impression d'être celle qui était entourée de verre. Je n'ai jamais eu les moyens pour cette ville. Et elle n'a jamais eu envie de m'accueillir. Sa pluie, ses planches, sa cinéphilie apprêtée, je les ai rêvées comme Paul.

Maintenant, je réalise qu'elle n'abrite pas vraiment de magie. La magie, elle vient de ceux qui l'ont visitée. C'est Trintignant, c'est Vadim, c'est la musique de Delerm, la gouaille de Bob le Flambeur, c'est même Noguerra qui oublie dans sa robe Hermès que le reste du temps, elle vend des solutions de financement.

Ce ne sont pas les gens qui y habitent qui donnent son âme à Deauville, mais bien ceux qui s'y perdent, ceux qui y aiment, ceux qui y souffrent. C'est ceux qui partent aussi. Et qui n'y reviennent jamais.

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