Culture

«Humains», Préhistoire drôle (à son insu)

[Épisode 3] Tombé dans l'oubli, ce thriller d'aventures sur fond d'hommes de Néandertal vaut pourtant son pesant d'or. Pour de mauvaises raisons.

Lorànt Deutsch dans «Humains». | Capture d'écran La Fabrique <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vlBdKg2TtuU`">via YouTube</a>
Lorànt Deutsch dans «Humains». | Capture d'écran La Fabrique via YouTube

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Il n'y a qu'à comptabiliser le nombre de films de genre français sortant sur nos écrans pour se rendre compte que non, clairement, ce cinéma-là n'a pas vraiment droit de cité dans notre pays. Il y a même de fortes chances pour que la Palme d'Or récemment reçue par Titane ne change rien à la façon dont les univers horrifiques, marginaux ou surnaturels seront accueillis par les producteurs et financiers: au pays de la Nouvelle Vague, le cinéma de genre est considéré avec un mépris qui ne disparaîtra pas de sitôt.

Dans ce contexte, on n'a presque pas envie de taper sur celles (et surtout ceux, puisque les réalisatrices se font rares) qui parviennent à mener à bien leur projet de film de genre, mais dont la copie n'est clairement pas au niveau. Encore plus que dans le cinéma dit classique, on imagine que les cinéastes et scénaristes doivent faire toujours plus de concessions, travailler avec des budgets toujours plus ridicules, et tenter malgré tout de faire subsister leur vision. Ce qui n'est pas une mince affaire.

Certains films de genre donnent néanmoins un véritable sentiment de gâchis, se prenant les pieds dans le tapis en donnant l'impression de dilapider les millions d'euros que d'autres réalisateurs ou réalisatrices auraient pu exploiter avec tellement plus de talent et d'efficacité. Humains fait partie de cette catégorie-là. Dans la catégorie «films français de genre raté», le film se pose là, et il est même assez étonnant qu'il ne soit pas devenu culte (pour de mauvaises raisons) au lieu de sombrer simplement dans l'oubli.

Indiana Deutsch

C'est d'abord une affaire de casting. À moins que ce soit un problème de direction (ou de non-direction) d'acteurs et d'actrices. Quoi qu'il en soit, si Philippe Nahon (en professeur fêlé mais exalté) et Dominique Pinon (en prof d'EPS avide de randonnée) surnagent grâce à leurs gueules et à leurs gouailles, on ne peut pas en dire autant des deux têtes d'affiche, Lorànt Deutsch et Sara Forestier.

 

Le premier joue un ersatz d'ersatz d'ersatz d'Indiana Jones, explorateur souffrant visiblement de se trouver dans l'ombre de son père (Nahon), chercheur réputé bien que mis au placard en raison de ses théories jugées farfelues. La seconde endosse un rôle de paléontologue exaltée, persuadée qu'un petit voyage en Suisse pourrait lui permettre de réaliser une découverte fondamentale et de compléter le grand puzzle de l'histoire humaine. Tout simplement.

Forestier (qu'on aime bien par ailleurs) et Deutsch (qui était chouette à l'époque des Intrépides) font preuve de la meilleure volonté du monde, mais ils semblent à la fois trop frêles et trop jeunes pour des rôles nécessitant une envergure (d'ailleurs même leurs vêtements semblent trop grands pour eux). Imaginez un peu la gueule qu'aurait eu Jurassic Park si Steven Spielberg avait remplacé Laura Dern, Sam Neill et Jeff Goldblum par trois comédiens amateurs à tête d'ado: c'est un peu l'impression que laisse Humains. D'autant que Jacques-Olivier Molon et Pierre-Olivier Thévenin, les deux réalisateurs, ne sont pas exactement Spielberg. Oui, c'est une litote.

En deux temps trois mouvements, le trio Nahon-Deutsch-Forestier se retrouve donc en route pour les Alpes suisses afin de procéder à des fouilles. Objectif: mettre la main sur des objets ou des ossements permettant de mieux comprendre le lien entre Néandertal et nous. À ce stade, c'est déjà très drôle: du jour au lendemain, sans budget ni autorisation, ces trois-là prennent le train en semblant persuadés qu'ils trouveront ce qu'ils cherchent en un clin d'œil. Et donc que le reste de la communauté scientifique est composé depuis toujours de tocards qui n'ont rien compris et qui ne savent pas chercher.

Le film finira évidemment par montrer que cette vaillante équipe de recherche avait raison, en lui donnant néanmoins davantage de fil à retordre que prévu. Clairement, le trio n’est pas le bienvenu sur les lieux: des pluies de rochers et d’autres obstacles se dressent sur sa route. Avant même d'atteindre son hôtel, le petit groupe (auquel il faut ajouter le personnage de Dominique Pinon, ainsi que sa fille et sa nouvelle femme) subit un terrible accident de voiture, qui va contraindre tout ce petit monde à poursuivre à pied. Car si le véhicule s'écrase du haut d'une falaise, presque tous ses passagers s'en sortent avec à peine quelques égratignures. La ceinture de sécurité, sans doute.

Un film d'ados

La suite tient à la fois du film d'aventures méga cheap que du survival ambitionnant d'être hardcore. Si Humains ressemble à ce point au projet de fin de séjour d'un camp «Cinéma et randonnée» organisé pour les 13-16 ans, c'est aussi parce que ses auteurs et ses réalisateurs (qui ne sont pas les mêmes personnes) tentent de bouffer à tous les rateliers. Faire s'enchaîner les morts de plus en plus violentes au sein d'un univers aussi planplan bon enfant, c'est prendre le risque de perdre tout le monde en route.

Dans l'article sur Le Baltringue, on tentait de faire le distinguo entre navet et nanar. Humains penche très clairement vers la seconde catégorie tant chaque bobine le rend encore plus délectable à suivre que la précédente (sauf vers la fin, mais on y reviendra). Pour s'échapper de ces reliefs suisses qui semblent n'en plus finir, nos héros et héroïnes rencontrent tout un tas d'obstacles, dont un torrent... au niveau duquel est heureusement installée une corde tendue entre les deux rives. Pratique.

La scène dans laquelle les personnages tentent de traverser vaut son pesant de cacahuètes. Elle est à la fois mal filmée, mal montée, mal interprétée, et le doux parfum d'amateurisme qui émane de chaque plan fait monter l'hilarité. Et s'il est totalement normal que, sous l'effet de la pression et de la peur, les protagonistes se mettent à crier, la cacophonie générale créée par la superposition des hurlements est elle aussi à se tordre de rire.

«Humains» penche très clairement vers la catégorie nanar tant chaque bobine le rend encore plus délectable à suivre que la précédente.

Ce passage débouche sur une réplique qui a fait le bonheur de tous les spectateurs et spectatrices du film (41.258 personnes le temps de sa courte carrière en salles): «Thomas... on a essayé de me pêcher», bredouille Nadia (Sara Forestier), aussi incrédule face à ce qui vient de lui arriver que nous face à l'ensemble du spectacle proposé.

Il est vrai que pendant que Nadia dévalait le cours d'eau après avoir lâché la corde, quelqu'un a visiblement essayé de la capturer. C'est le moment de vous avertir: attention, la suite de l'article dévoile des éléments-clés de l'intrigue.

Coucou les revoilou

Qui a essayé de pêcher Nadia? On vous le donne en mille: un Néandertalien. Car l'espèce n'a pas tout à fait disparu il y a 30.000 ans de cela, nous expliquent Pierre-Olivier Thévenin et Jacques-Olivier Molon. Un postulat comme un autre, qui n'a absolument rien de risible en soi, mais qui, dans le cadre d'un film déjà très mauvais, fait office de gigantesque cerise sur le gâteau. À partir de là, Humains devient nettement plus violent, mais il gagne aussi en potentiel comique. Il faut voir se rejouer, sous le regard éberlué de Deutsch et Forestier, une sorte de remake helvète et amateur de La Guerre du feu.

On le disait, ce revirement scénaristique n'a honnêtement rien de honteux. Le problème, c'est que les coauteurs semblent totalement incapables de justifier pourquoi, depuis plusieurs millénaires, une lignée d'homo sapiens sapiens suisses s'échine à perpétuer la lignée néandertalienne. Si l'on en croit une scène de dialogue entre une matriarche taciturne et son bourgmestre de fils, ce serait juste une histoire d'entraide entre voisins. Se filer une douzaine d'œufs ou un code wifi, ça n'était vraisemblablement pas suffisant: pour être sympa avec les Néandertal, dont seuls les mâles ont survécu (on se demande pourquoi), il faut leur filer un stock de femelles en âge de se reproduire.

C'est fou comme les scénaristes masculins sont imaginatifs dès lors qu'il s'agit de faire enfermer des personnages féminins (dont une pré-ado) désireux de les violer. Humains orchestre alors la révolte de ses protagonistes, qui vont tenter de dézinguer de l'homme de Néandertal et du vilain Suisse afin d'éviter que les femmes du groupe ne servent de mères porteuses. Ce dont il s'acquitte à l'aide d'une série de scènes d'action pataudes en diable.

Le film constitue une preuve supplémentaire du fait que oui, réaliser est un métier, qui ne s'improvise pas.

Sous des prétextes badass, Molon et Thévenin finissent par faire de la jeune Élodie la nouvelle héroïne du film. C'est de sa survie à elle qu'il est avant tout question, d'autant qu'elle finit par être amenée à organiser sa défense par ses propres moyens. Le suspense final du film tourne autour du fait qu'une gamine de plus ou moins 13 ans risque de devenir le jouet sexuel de Néandertaliens ivres de reproduction (voire d'adultes suisses qui n'auraient rien contre en profiter un peu). Et là, franchement, on ne rit plus, même si les auteurs ont le bon goût (?) de ne pas aller plus loin dans l'abjection.

Jacques-Olivier Molon et Pierre-Olivier Thévenin ne sont pas des cinéastes. On ne dit même pas ça pour vanner, mais pour rappeler qu'ils sont spécialisés depuis plusieurs décennies en effets spéciaux et maquillage de cinéma. Ce sont de bons artisans, souvent demandés sur les plateaux (la filmo de Jacques-Olivier Molon est particulièrement imposante). D'ailleurs les effets visuels de Humains n'éveillent pas particulièrement l'attention, ce qui semble signifier qu'ils sont réussis.

Écrit par trois autres hommes (Silvan Boris Schmid, Dominique Néraud et le producteur Franck Ribière), le film constitue simplement une preuve supplémentaire du fait que oui, réaliser est un métier, qui ne s'improvise pas. Irait-on demander à un réalisateur de devenir subitement maquilleur ou de gérer lui-même les effets spéciaux de son film? Ce qui semble aberrant dans un sens l'est également dans l'autre. Molon et Thévenin n'ont jamais récidivé, le cinéma français les en remercie, et il faut souhaiter que leur carrière éphémère de réalisateurs dissuade d'autres aspirants cinéastes de se lancer sans réfléchir.

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