Culture

Les films à voir sur OCS pendant le (nouveau) confinement

C'est le moment de rentabiliser son abonnement.

Nahéma Ricci dans <em>Antigone</em> de Sophie Deraspe. | Capture d'écran Maison4tiers <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GCBD-KVv6LI">via YouTube</a>
Nahéma Ricci dans Antigone de Sophie Deraspe. | Capture d'écran Maison4tiers via YouTube

Temps de lecture: 8 minutes

On oublie trop souvent que le C de OCS signifie «cinéma» et que la vaste proposition de séries n'est pas le seul atout de ce bouquet. Puisqu'il faut bien occuper les soirées de ce morne printemps, voici une sélection de huit films de tous horizons, inédits ou non, qui émergent d'un catalogue aussi hétéroclite que séduisant.

«Antigone», Sophocle au Québec

Le plus beau film de la rentrée 2020 est déjà sur OCS. Antigone ne fait que confirmer la prodigieuse santé du jeune cinéma québécois, et notamment de ses réalisatrices. Charlotte a 17 ans, Jeune Juliette et Une colonie étaient de très belles réussites, mais Antigone les surpasse d'une large tête. Sa réalisatrice Sophie Deraspe a porté à bout de bras ce projet dont elle est également scénariste, directrice de la photographie et monteuse.

Comme son titre l'indique, Antigone est une (libre) adaptation de la pièce de Sophocle, que Sophie Deraspe a transposée dans le Québec d'aujourd'hui. Antigone est ici une jeune femme d'origine kabyle, dont le frère aîné Étéocle est tué par la police à l'occasion d'un contrôle d'identité ayant tourné à la catastrophe. Polynice, son frère cadet, ayant été arrêté et risquant d'être expulsé du pays, elle décide de monter un stratagème pour le remplacer en prison: étant mineure, elle n'a aucune chance de subir le même sort.

S'il y avait besoin de prouver que les plus fameuses tragédies grecques sont à même de traverser les époques, l'Antigone de Sophie Deraspe ferait une pièce à conviction idéale. L'action ne perd rien de sa dimension tragique et s'orne d'un propos politique puissant sur l'identité et le sentiment d'appartenance. Le traitement des violences policières, dont les victimes sont plus souvent montrées du doigt que les coupables, est lui aussi impeccable.

Dans le rôle-titre, Nahéma Ricci fait des merveilles. La jeune actrice à l'allure androgyne semble remplie d'une tristesse qui lui sert de carburant, alimentant sa détermination sans faille. L'ensemble est convaincant de part en part, aussi lyrique qu'actuel, et l'on se dit qu'Antigone aurait réellement mérité d'être sélectionné parmi les cinq films nommés à l'Oscar du meilleur film étranger, tant il fera date.

«Eva en août», l'été en pente douce

À de nombreuses reprises, le film de Jonás Trueba (fils de Fernando Trueba, Oscar du meilleur film étranger 1994 pour Belle époque) a valu au jeune réalisateur d'être comparé avec Éric Rohmer ou Guillaume Brac (Un monde sans femmes, À l'abordage). Des compliments qui ne rendent pas vraiment justice à Eva en août, chronique estivale d'une délectable finesse qui pourra séduire les allergiques à Rohmer (dont fait partie l'auteur de ces lignes) et les assoiffés de female gaze (une notion introuvable chez Brac).

Résumer le film n'en dirait pas grand-chose: c'est l'histoire d'une jeune femme qui redécouvre Madrid en plein été, lorsque la plupart des autochtones sont en vacances ailleurs. Flirts, rencontres, retrouvailles, concertes, fêtes, déambulations, rites: chacune de ses journées sera aussi singulière que la précédente.

Nommé pour le dernier César du meilleur film étranger, le film possède un charme fou. Celui des grandes villes pendant les étés sans pandémie. Celui des personnes dont on tombe peu à peu amoureux ou amoureuse, un peu par surprise. L'écriture de Trueba est sans tambour ni trompette, et la mise en scène est à l'unisson: le film fait preuve d'une retenue d'autant plus séduisante qu'elle n'est pas permanente. Eva sait se tenir, mais Eva sait se lâcher. Et c'est délicieux.

Même sans fermeture des salles, Eva en août aurait sans aucun doute figuré parmi les plus beaux films de 2020. En ce début de printemps, son visionnage apparaît comme indispensable, tant il est gorgé de liberté. Le film de Jonás Trueba vient nous rappeler que si les belles rencontres sont essentielles, il est également possible de vivre des moments de grâce en solo. Cela peut être important à noter en vue des mois à venir.

«99 homes», le malheur des uns

C'est l'histoire d'un type qui fait son beurre sur le dos des familles expulsées de leur logement. Profitant de la crise financière, l'agent immobilier véreux joué par Michael Shannon n'hésite pas à déloger des couples et des enfants puis à utiliser leur (ancienne) maison ou leur (ancien) mobilier afin de gagner d'autres contrats.

Le film de Ramin Bahrani (réalisateur américain d'origine iranienne, dont il faut aussi voir Chop Shop et Goodbye solo) orchestre la rencontre entre ce sale type, qui s'assume comme tel, et l'une de ses victimes (jouée par Andrew Garfield). Acculé, le jeune homme accepte de bosser pour le responsable de son expulsion, multipliant les menus travaux destinés à l'aider dans ses magouilles immobilières.

99 homes dépeint un héros prêt à tout pour récupérer sa maison, symbole d'un rêve américain auquel les banques ont fini par mettre sèchement un terme. La confrontation Garfield-Shannon fonctionne à merveille: d'un côté les scrupules et la fierté perdue, de l'autre l'obsession de l'argent et l'inhumanité absolue. Le résultat est pourtant moins binaire que prévu.

Grand Prix du festival de Deauville en 2015, le film de Ramin Bahrani n'a pourtant jamais eu les honneurs d'une sortie dans les salles françaises. Disponible sur OCS depuis plusieurs semaines, 99 homes fait partie de ces films indépendants américains à côté desquels il est très facile de passer, mais dont le visionnage peut réellement faire de vous quelqu'un de différent.

«Lucky Strike», en Corée encore

C'est une de ces comédies noires déstructurées dont on pense avoir un peu soupé, tant de cinéastes pas très inspirés ayant tenté de se prendre soit pour Quentin Tarantino, soit pour Guy Ritchie. Mais Lucky Strike (titre anglophone trouvé par le distributeur français, le véritable titre anglais du film étant Beasts Clawing at Straws) se démarque habilement du lot et procure un plaisir assez fou.

C'est une histoire de sac d'argent dérobé dans un sauna, qui va évidemment déchaîner les passions, impliquant pas moins de huit protagonistes. L'ensemble est narré de façon déconstruite afin de faire durer le suspense et de rendre l'ensemble plus ludique. Et si Lucky Strike fonctionne à plein tube, c'est justement parce qu'il n'essaie ni d'avoir l'air plus fun que la moyenne, ni de complexifier les choses de façon inutile.

Dans le premier film de Yong-hoon Kim, c'est avant tout l'amour du cinéma qui transparaît. Malin, rythmé mais pas poseur, le film va droit au but, évitant les chausse-trapes contemplatives ou les recours inutiles à une ultra-violence qui ne choque plus personne mais fait simplement lever les yeux au ciel.

Se déroulant dans une ville portuaire proche de Séoul, Lucky Strike utilise à merveille des décors attrayants, organise le télescopage en règle de personnages vénaux, et rappelle (toutes proportions gardées) des films comme Jackie Brown ou No country for Old Men, qui n'essayaient de ressembler à rien d'autre qu'à eux-mêmes.

«Suicide Tourist», la corde du pendu

Loin de n'être que le Jaime Lannister de Game of Thrones, Nikolaj Coster-Waldau est surtout un acteur complet, qui n'hésite pas à revenir dans son Danemark natal entre deux tournages dans des production américaines d'envergure. Dans Suicide Tourist, film scandainave qui débarque directement sur OCS, il est d'ailleurs méconnaissable.

L'acteur incarne Max Isaksen, enquêteur d'une compagnie d'assurance apprenant qu'il est condamné par une tumeur inopérable. Poussé par sa compagne à réaliser ses rêves les plus fous pendant qu'il est encore temps, le héros semble bien plus attiré par l'idée de mener à bien l'une de ses investigations en cours.

Il faut dire que l'enquête en question le mène dans un lieu qui l'attire personnellement pour des raisons que l'on imagine bien: l'Aurora Hotel, un hôtel clandestin dans lequel sont organisés des suicides assistés. Fantasmant de plus en plus sur sa propre mort, Max finit par prendre conscience que sa perception de la réalité est de plus en plus altérée.

Le tout forme un thriller mélancolique et magnétique, qui ne tient pas complètement ses promesses de puzzle psychologique mais développe à la place une réflexion volontairement accidentée sur les dernières volontés et la fameuse bucket list, la liste des choses à faire avant de mourir. De tous les plans, Nikolaj Coster-Waldau est absolument prodigieux.

«Les Joueuses #paslàpourdanser», cœurs de lionnes

Pourquoi «pas là pour danser»? Parce que le 3 décembre 2018, jour où elle est entrée dans la légende du football en recevant le premier Ballon d'or féminin, l'attaquante de l'Olympique lyonnais Ada Hegerberg a eu la surprise d'entendre Martin Solveig lui demander sur scène... si elle savait twerker. Le DJ français, qui s'est excusé depuis, avait ainsi relancé le débat (qui n'en est pas un) sur le mépris des hommes à l'égard des footballeuses.

C'est dans l'optique de leur rendre un hommage dépourvu de sexisme que la réalisatrice Stéphanie Gillard s'est installée pour un temps dans le vestiaire des joueuses de l'OL, qui restent actuellement sur quatorze titres consécutifs de championnes de France et cinq Ligues des Championnes de suite. Les Joueuses est un film plutôt doux, modeste héritier des fameux Yeux dans les Bleus de Stéphane Meunier, et c'est d'ailleurs là qu'est son intérêt.

On aurait certes pu espérer un plaidoyer plus fort et plus rageur en faveur du foot féminin, dont même les stars sont encore sous-payées et sous-estimées par rapports à leurs homologues masculins... mais Stéphanie Gillard opte plutôt pour un autre parti pris: celui de nous montrer que dans les têtes, les filles de l'Olympique lyonnais sont extrêmement semblables aux garçons.

Le plaisir de suivre Wendie Renard, Amel Majri, Delphine Cascarino est les autres est inaltérable. Et l'on se dit que le football au féminin a décidément tout pour connaître le même succès que son équivalent masculin: de fortes personnalités, des talents incroyables, et un amour fou pour ce sport potentiellement si fédérateur.

«Deux», ça raconte Nina (et Madeleine)

Nommé pour le Golden Globe du meilleur film étranger, représentant français aux Oscars (il ne fut évincé qu'à une marche de la liste finale), lauréat du César du premier long-métrage, le film de Filippo Meneghetti —dont nous vous vantions déjà les mérites en décembre– est bien plus explosif que ce que son titre et son affiche laissaient entrevoir.

Deux n'est pas une simple histoire d'amour entre deux femmes d'un certain âge, ce qui serait déjà assez gigantesque en matière de thématiques abordées: c'est une véritable tragédie qui mêle homophobie, dépendance et incommunicabilité. Un drame sombre dont les zébrures laissent à peinent passer la lumière.

Car si le couple formé par Nina et Madeleine, fausses voisines de palier mais vraies amoureuses de longue date, ambitionne d'aller poser ses valises ailleurs afin de vivre enfin sans la peur du regard des proches, le film coécrit par Meneghetti et Malysone Bovorasmy se détourne sans trop tarder de cette perspective réjouissante bien que difficile à mettre en œuvre.

Les deux femmes ne sont pas seulement lesbiennes, elles sont âgées. Une caractéristique non négligeable que le scénario n'oublie pas de prendre en compte, montrant que les histoires les plus belles ne sont jamais à l'abri d'un accident de la vie. Le résultat est d'une noirceur qui pourrait donner envie de se coller la tête dans le four, alors qu'elle nous pousse plutôt à vivre les histoires d'amour que nous méritons tant qu'il est encore temps.

«Bad Education», magouilles à la fac

Il va falloir suivre Cory Finley. Son premier film, Pur-sang, brillait par la tension qui émanait du duel entre deux adolescentes perturbées (l'une étant jouée par Anya Taylor-Joy, starisée par la série Netflix Le Jeu de la dame). Le deuxième, réalisé pour HBO, est moins ouvertement noir mais manie le vitriol à merveille.

Dans Bad Education, Hugh Jackman et Allison Janney interprètent le tandem qui dirige un établissement scolaire très prisé de Long Island, dont les résultats d'admission dans les universités prestigieuses sont enviés par toutes et tous. Sauf qu'il y a un loup.

En l'occurrence, le loup est un trou gigantesque dans la comptabilité de l'établissement, le duo de dirigeants ayant pris l'habitude de se servir dans la caisse de façon totalement décomplexée. C'est lorsqu'une lycéenne tenace décide de mettre son nez dans les affaires du duo que le scandale devient inévitable. À l'aide de ses deux interprètes en très grande forme, Cory Finley décrit la longue fuite en avant de deux icônes du monde de l'éducation en voie de devenir des parias.

Aussi jubilatoire que révoltant, Bad Education parvient à créer une forme de compassion avec ses deux personnages principaux, et notamment celui interprété par Jackman, dont la tendance au mensonge par omission ne porte pas que sur les questions financières. La question de la dissimulation est au cœur du film de Finley, et elle ne se résume pas qu'à une simple affaire de magouille certes scandaleuse.

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