Culture

Deux romans «la vie cette pute» qui ne donnent pas franchement envie de reprendre du pop-corn

RENTRÉE LITTÉRAIRE – Pessimisme de l'écrivain sans avenir et Jésus-Christ désabusé: les chemins de croix d'Olivier Adam et Amélie Nothomb montrent la difficulté à peindre une noirceur crédible.

Deux livres qui foutent le cafard. | David Humo <a href="http://www.flickr.com/photos/breizh-punisher/">via Flickr</a>
Deux livres qui foutent le cafard. | David Humo via Flickr

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Chaque roman d'Amélie Nothomb s'invite inexorablement à la chute des premiers marrons dans les cours d'école. Une illustration de la rentrée littéraire à elle seule. Roman, le terme semble d'ailleurs exagéré. À vingt-deux lignes par pages (qui sont à peine 150 dans cette livraison 2019), et en caractères pour presbytes, elle vise de plus en plus la nouvelle.

Olivier Adam aligne trente-deux lignes, mots serrés jusqu'à l'étouffement, et espère toujours les 400 pages. Lorsque Olivier tente le gras double, Amélie vise le diététique. On achète sa nouvelle pour 17,90 euros, c'est pas donné, d'autant plus que Soif ne nourrit guère. Il est probable que ce régime minceur se poursuivra et que ses ultimes romans se contenteront d'être des haïkus.

Ainsi soif-t-il

Soif narre les dernières heures de Jésus, à la première personne, avec une manière de détachement, une douleur discrète, une prescience de l'avenir (il aime regarder les descentes de croix en peinture, parle de courts-circuits et de «discrimination positive»), s'autorise quelques considérations sur son sort et la nature humaine. Hélas, quand Jésus pense, ce n'est pas toujours convaincant: «Mourir, c'est mieux que la mort, de même qu'aimer est beaucoup mieux que l'amour.»

C'est plus intéressant lorsqu'il parle de lui. Jésus se définit comme «un faux calme», avoue ne pas souffrir les échardes (ces croix sont si mal entretenues) et craint les rages de dents, étant de «nature douillette». Le voici qui se met en mode OSS 117 et assène: «J'aime le matin.» Les révélations se succèdent. Aux Noces de Cana, sa «mère était pompette, et cela lui allait bien». Judas? «Un drôle de type» qui n'est pas «né le cul dans le beurre».

Ton père est un voleur, il a volé tous les gobelets du Starbucks pour les mettre dans tes yeux

Quand Pilate prononce sa sentence, en bon latiniste, Jésus apprécie son «économie de langage. Le génie du latin ne commet jamais de pléonasme.» Classieux. Après ça, tout condamné à mort qui ne connaîtrait pas son Gaffiot passera évidemment pour un gros naze.

Il est «amoureux» de Marie-Madeleine (notez qu'il y a débat), bien qu'il «ne raffole pas des prénoms doubles et [...] trouve fastidieux de la nommer Marie de Magadala», c'est sûr que c'est pas facile à prononcer pendant l'orgasme, enfin, que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première Marie-Pierre. Il la drague façon pub Cristalline, et c'est assez gênant:

«-Arrête de me regarder ainsi, disait-elle parfois.

-Tu es mon gobelet d'eau.»

Faut dire qu'elle est au moins aussi reloue que lui: «Avant de te connaître [...], ça me clouait au mur.» Oupsss.

Le roman reste, rassurez-vous, un chemin de croix. «Depuis que je suis au supplice, le sort s'acharne sur moi, tout me tombe dessus, le pire et le meilleur.» Le voici qui meurt en négligeant l'une de ses plus célèbres répliques. «Je ne dis pas: “Père, pourquoi m'as-tu abandonné?” Je l'ai pensé beaucoup plus tôt, mais là je ne le pense pas, j'ai mieux à faire. Mes dernières paroles auront été: “J'ai soif.”» Un vrai scoop d'archéologue.

Les décloueurs (fact-checking de la crucifixion)

D'un point de vue strictement technique, Amélie Nothomb s'en tient à l'iconographie traditionnelle, évoquant les clous dans les paumes alors que ceux-ci étaient généralement plantés au niveau des poignets. «Les mains ne pouvaient supporter le poids d'un corps (poids maximum supporté évalué à une trentaine de kilos), une crucifixion faite de cette manière aboutissant rapidement à un déchirement des mains», rappelle Wikipédia. Or, bien que Marie, comme toute mère juive, lui dise: «Mange, tu fais pitié!», il avoue 55 kilos à la balance. Conséquence: ça déchire grave.

En dépit de cette négligence poétique, reconnaissons à l'écrivaine ses prédispositions narratives, ainsi que sa capacité à s'emparer d'un sujet pour le tordre et lui asséner sa petite musique si particulière. Efficace, brillant par intermittence mais finalement décevant: un tel roman, comme les précédents, se lit vite et s'oublie aussitôt. On aimerait qu'un tel talent dédaigne son paresseux rendez-vous automnal et s'attelle à l'écriture d'une nourriture plus solide. En attendant, j'ai appris un mot («hypnagogique») que ce bouquin m'a permis de bien comprendre.

Adam énerve

«Mais il sentait bien que quelque chose s'était abîmé. Une faille. Une fissure. Entre Sarah et lui. Entre lui et Manon. Et en lui-même.»

Systématiquement livré avec une boîte de Xanax, un livre d'Olivier Adam a plusieurs vertus: outre qu'il fait vivre les papetiers, avec ses quelque 376 pages bien tassées (400 ressenties), il rend votre quotidien incroyablement joyeux –par simple comparaison avec les torrents de merde qui s'accumulent sur ses personnages. Il l'assume en toute simplicité: «Certains auteurs faisaient plutôt du “feel good”, lui c'était plutôt du “feel bad”». Dans Une partie de badminton, roman aussi joyeux qu'un coup de fil de Cioran à SOS amitié, Paul Lerner n'échappe pas à la malédiction adamesque. Il vit à La Rance, ça annonce de l'amertume.

Allô Adam bobo, Adam comment tu m'as fait chuis pas beau

Son couple va moyen. «En dépit d'une légère usure. De la fatigue qui la prenait parfois de vivre avec lui. Et de l'éloignement imperceptible qui s'ensuivait. Tout cela avait fini par créer une légère distance.» Évidemment, ceci n'est qu'une mise en bouche. Ses livres ne se vendent plus, sa fille est ado, il est pigiste dans un quotidien local, il n'a plus un rond, sa femme le trompe, ils n'ont plus assez de pognon pour vivre à Paris et se retrouvent coincés en Bretagne, où il pleut, forcément («L'été avait été pourri et on notait un affaissement de la fréquentation des hôtels»), sa fille a des écouteurs, un ami meurt, malgré ses trois opération au dos il «souffre le martyre», avec sa femme ils ne baisent plus guère et, «comme de coutume, la circulation ralentit au péage de Saint-Arnoult». On sent qu'un coin de ciel bleu tiendrait ici de l'image porno. «Tout lui semble toujours peser des tonnes.»

Parfois, il s'accorde une petite virée solo et alors «vertiges, nausées, bouffées de chaleur, élancements dans les jambes, les épaules, les bras, les côtes, chiasse carabinée», probable que le Doliprane va pas suffire. Quand il se réveille à l'hôtel, il y a du «vomi, de couleur rouge, on se demande pourquoi, partout. Sur la moquette, les draps, ses vêtements, ses godasses, son sac de voyage». Bien, je crois que tout le monde a compris, Olivier. En effet «rien de réjouissant». Je suis pas très porté métempsycose, mais si un jour Paul se réincarne, ce sera en lampadaire à chiens.

«Et sinon, la vie, comment ça va?»

Néanmoins, outre de noirs énoncés vaguement flaubertiens («Sans doute y avait-il là la saveur amère des choses enfuies») voire gaullistes («L'adolescence était un cimetière» -hein?), ce roman a quelques atouts à faire valoir.

D'abord, Olivier Adam semble avoir découvert l'existence des paragraphes et même des dialogues, ce qui facilite la lecture. Ce n'est pas rien. Ensuite, son texte peu à peu prend corps et le récit qui s'en dégage, certes trop long, répétitif, bavard, nombrilique, finit par s'enraciner. Le personnage de Paul Lerner prend corps. Sa manière de traverser une non-existence, une absence, est assez touchante, en tout cas assez vraie pour attirer la personne qui le lit et faire naître, pardon j'ai honte, une émotion. On en oublie ce Tetris du pas de bol, où les tuiles qui s'empilent sont un peu trop nombreuses pour être crédibles. Une fois dépassé cet agacement, on se laissera entraîner dans ce chemin de croix, où flotte une tendresse pas trop putassière qui débouche sur un étrange happy end en forme de renoncement las.

À la légèreté d'Amélie Nothomb répond la lourdeur d'Olivier Adam, toutes deux peu convaincantes. On referme ces livres en se disant qu'il y avait plus de détresse dans un paragraphe de la Comtesse de Ségur.

 

 

Soif

de Amélie Nothomb

Albin Michel

Paru le 21 Août 2019

Prix: 17,90 euros

 

Une partie de badminton

de Olivier Adam

Flammarion

Paru le 21 août 2019

Prix: 21 euros

Épisode 4Deux romans «la vie cette pute» qui ne donnent pas franchement envie de reprendre du pop-corn
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