Culture

«Once Upon a Time… in Hollywood», il était plusieurs fois le cinéma du cinéma

Très –trop?– attendu, le film de Quentin Tarantino joue avec les références du cinéma de genre, la légende de Hollywood et la mémoire d'un fait divers tragique.

Rick (Leonardo DiCaprio) et Cliff (Brad Pitt), cowboys à la ville comme à l'écran. | Capture d'écran via YouTube
Rick (Leonardo DiCaprio) et Cliff (Brad Pitt), cowboys à la ville comme à l'écran. | Capture d'écran via YouTube

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Once Upon a Time… in Hollywood était de très loin le film le plus attendu du festival, celui dont la présence ou non en sélection a fait couler le plus d'encre, surtout virtuelle, occultant l'attention aux autres films à la sélection incertaine –ce qui n'est nullement à reprocher au film ni à son auteur, plutôt au fonctionnement des médias.

Cette attente surdimensionnée aggrave, et explique en partie, la déception suscitée par le film. Celle-ci tient à l'intérêt limité de qu'il raconte, mais aussi à de manifestes approximations dans le scénario et le montage.

En regardant Once Upon a Time… in Hollywood, l'idée s'impose qu'il devrait durer une bonne heure de plus ou une petite heure de moins que ses 2h40 –ou, pour le dire autrement, qu'il a été apporté à Cannes sans être vraiment terminé.

Un monde où la réalité n'existe pas

L'histoire principale porte sur l'amitié entre Rick Dalton, star sur le retour de feuilletons télévisés, joué par Leonardo DiCaprio, et son ami et homme à tout faire Cliff, interprété par Brad Pitt.

S'y mêlent de manière peu lisible les tribulations de «Riff» avec un groupe de marginaux et la présence dans le voisinage de la maison de Rick du couple Roman Polanski et Sharon Tate, alors que le récit est situé en 1969, à proximité de la date du massacre perpétré par la secte de Charles Manson, dont l'actrice sera une des victimes.

Il y aura bien, sous leurs vrais noms, la plupart des protagonistes de ce fait divers sanglant, mais ce qu'ils feront dans le film ne correspond pas à la réalité. L'idée, croit-on comprendre, est qu'en fait, dans ce monde qu'on appelle Hollywood, la réalité n'existe pas.

Dans ce monde n'existe qu'une succession plus ou moins cohérente d'actes plus ou moins codés par les lois du spectacle. Ce n'est pas Sharon Tate mais une actrice qui joue Sharon Tate, les armes de fantaisie d'un film de fiction ressurgissent dans ce qui se donne pour la vraie vie et n'est qu'une autre fiction ou un autre niveau de la fiction.

L'actrice qui joue Sharon Tate (Margot Robbie) allant voir la vraie Sharon Tate dans son dernier film, Matt Helm règle son comte (1968). | Capture écran via YouTube

Un problème d'échelle

Dans Inglourious Basterds, Tarantino inventait une fin alternative à la Seconde Guerre mondiale. Ici, il fabrique un déroulement imaginaire du crime de la famille Manson, tout en jouant sur les codes du buddy movie avec ses deux héros, en convoquant d'autres figures connues, à commencer par Steve McQueen et Bruce Lee, dans des situations inventées et improbables.

Le réalisateur s'amuse à fabriquer des séquences de faux westerns, films de guerre ou d'espionnage des années 1960 et invente les affiches de films imaginaires, parmi lesquels il glisse des extraits de films existants.

Tout cela devrait être joyeux et vif, tout est pesant et appliqué –lourd de sens, comme on dit, même si la lourdeur est plus évidente que le sens. Il y a surtout, le phénomène n'est pas nouveau chez Tarantino mais il devient ici un fardeau, un problème d'échelle.

Le neuvième film de l'auteur de Kill Bill devrait être un tout petit film, un truc fabriqué entre copains sans trop se prendre au sérieux, en jouant sur la cinéphilie régressive, l'invocation impertinente d'une vraie tragédie, les coq-à-l'âne et les clins d'œil.

Il est cela, mais dans les habits empesés de la grande forme, à laquelle concourt –qu'elles le veuillent ou non– la présence des deux plus grandes stars masculines du cinéma mondial.

Une série B, ou plutôt C ou D, mais avec Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, souffre d'un déséquilibre. Dans une certaine mesure, par rapidité de mise en scène et effet de surprise, Pulp Fiction parvenait il y a vingt-vinq ans à dépasser ce déséquilibre, voire à en tirer parti. Mais à l'époque, personne n'attendait Pulp Fiction.

Le piège des films en miroir

Le film de Tarantino est l'exemple le plus visible d'une tendance très représentée du cinéma à raconter des histoires de cinéma. Dans la sélection officielle de cette année, cela a déjà été d'une certaine manière le cas de The Dead Don't Die de Jim Jarmusch, qui est davantage un film sur le film de genre qu'un film d'horreur, et d'une manière très différente de Douleur et gloire de Pedro Almodóvar, autoportrait d'un réalisateur à peine décalé. On pourrait y ajouter celui qui aura pour l'instant joué le plus explicitement et le plus brillamment avec les citations cinéphiles: Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu.

Le cinéma comme décor et ressort dramatique d'un film est aussi le moteur du nouveau film d'un réalisateur plus que prometteur, le Birman Midi Z. Celui-ci a tourné son nouveau long-métrage Nina Wu (présenté à Un certain regard) dans sa patrie d'adoption, Taïwan.

Wu Ke-xi, scénariste et interprète principale du film qui évoque sa véritable trajectoire d'actrice. | Via Seashore Image

Le film accompagne le début de carrière brillant d'une jeune actrice, mêlant la chronique de son existence à des scènes du film qu'elle tourne, jusqu'à brouiller la séparation entre les deux.

La perméabilité entre ce qu'il est convenu d'appeler «réalité» et «fiction» glisse vers le fantastique, voire le film d'horreur, tout en dénonçant l'oppression sexiste dont sont victimes les actrices –en Asie au moins autant qu'ailleurs.

Ce glissement est à l'œuvre dans le processus même de création de Nina Wu. Le scénario a été écrit par Wu Ke-xi, l'actrice de plusieurs des précédents films de Midi Z (notamment Adieu Mandalay), et il s'inspire de la bien réelle l'expérience de la jeune femme dans le monde du cinéma taïwanais. C'est elle qui interprète ici un personnage qui porte le même patronyme qu'elle, Wu.

Midi Z est un cinéaste doué, qui s'est illustré aussi bien dans le documentaire que dans la fiction. D'après un point de départ vécu, et incarné par celle qui l'a vécu, il s'essaie ici aux procédés du cinéma de genre et à des formes de stylisation inédites dans son cinéma.

Mais si le film semble finalement en retrait de ce que l'on espérait de cet auteur, c'est sans doute en grande partie du fait de cette limite que se révèle être si souvent le jeu sur le film dans le film, la mise en abyme et ses variantes.

La fascination, évidemment partagée par le monde du cinéma, pour les troubles effets de réfraction s'avère être un piège. Comme le disait Jean Cocteau, «les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images».

Once Upon a Time… in Hollywood

de Quentin Tarantino, avec Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Al Pacino.

Durée: 2h39. Sortie le 14 août 2019.

 

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