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Il s'excuse presque de ne pas présenter la tenue excentrique réglementaire et les lunettes (façon toge raélienne à la My God is blue ou costume blanc à la Sexuality). Pas de lunettes noires non plus. Mais il pointe tout de même son pantalon rentré dans ses boots.
Sébastien Tellier est très très (mais vraiment très) détendu. Il l’air presque heureux d’être là et d’enchaîner sa quatrième discussion avec la presse.
Son huitième album, L’Aventura (avec un seul V, pas comme la chanson de Stone et Charden, et pourtant il ne la renierait pas) sort lundi, plein de réminiscences de Gainsbourg et de Christophe, et il est bien décidé à faire le job. De toute façon, il le dit lui-même: «Je suis un bavard.» Quand on s’inquiète de sa fraîcheur et qu’on expose le principe de l’entretien tablette –les images sont des questions–, il suppose qu’on veut «un truc original. OK, je vais vous faire un truc original.» (Rires).
Ça, c'est une chanson de l'album. L'Adulte. J’ai 39 ans, un enfant qui a un an. Je suis désormais dans la nécessité absolue de devenir un homme. Et d’avoir deux vies. Une vie d’homme et une vie d’artiste. Rester un enfant dans ma vie d’artiste, c’est une nécessité: je veux devenir un artiste d’art naïf. Mais dans ma vie d’homme, la PlayStation, les Pim’s, le canapé, c’est plus possible. Je suis obligé d’être responsable, de faire en sorte que mon fils évolue dans une maison qui ne soit pas une montagne de poubelles. Tous les gens qui ont un enfant connaissent ça. Je peux plus être le mec atteint d’un quasi syndrome de Peter Pan, je peux plus être un adulescent (quel mot infect !). Etre un adulescent de 40 ans, ça manquerait de style.
Ce que j’ai aimé dans ce disque, en plus de m’être créé un personnage qui a eu une enfance au Brésil, très pop, c’est que je me suis éclaté en tant que musicien. J’ai créé des accords complexes, toutes les guitares, toutes les basses; j’ai jamais autant travaillé la musique. Au-delà de faire le gugus à la télé, mon vrai métier, c’est de bien faire de la musique, des parfums que les autres ont jamais créés, des sensations que les autres n’ont jamais abordées.
Malgré sa complexité musicale, L’Aventura reste un disque facile à écouter. C’est probablement le disque le plus digeste que j’ai fait, le plus léger. Sexuality aussi, je l’avais placé à l’heure de l’apéritif, accessible. L’inverse de My God is Blue. Mais qu’est-ce que les gens en avaient à foutre de ma réflexion sur Dieu? En fait, j’ai fait que deux albums accessibles. C’est beaucoup plus agréable de faire des albums pour les gens plutôt que de ne penser qu’à son message et à son art. Finalement, ça arrange tout le monde.
J’ai beaucoup de chance. Je suis devenu un artiste respecté, les mecs des grands groupes qu’on admire tous comme les Daft m’adorent. Je peux faire des albums qui coûtent extrêmement chers basés sur des idées complètement folles. Le seul truc que j’ai pas, c’est être populaire: vendre beaucoup de disques, passer à la radio. Je veux aller dans cette direction, faire grandir tout ça. Je ne pars pas non plus à la conquête du monde, j’ai juste envie que ça aille plus loin.
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Ma mère a été directrice d’école privée, elle commencé à construire des théories –je suis pareil, toujours à échafauder des théories– sur les enfants en difficulté mais qu’elle sentait très intelligents. Elle voulait qu’ils aient une place dans la société, qu’elle ne les écrase pas alors qu’ils avaient des choses à offrir. Elle était très impliquée dans l’église aussi. Je suis d’ailleurs allé à Saint Martin de France.
Mon père, lui, c’était la musique avant tout. Il m’a toujours acheté des instruments plutôt que des jouets à Noël. Il a tout fait pour que je devienne musicien. M’a appris mes premiers accords. Tous mes disques sont des messages à mon père. C’est une relation qu’on entretient comme ça.
Tous les dimanches matin, on écoutait Atom Heart Mother des Pink Floyd. C’était un moment religieux. Et mon père me le faisait écouter en disant: «Ça c’est ce qu’il y a de mieux.» Je me disais: ok, donc, ça c’est la meilleure musique du monde. Et puis aussi, beaucoup de variétés de l’époque; chanson légère, Manureva, Paroles Paroles, Christophe, bien sûr, mais aussi Abba.
Je veux qu’il soit fier de moi, lui montrer que ce qu’il m’a appris n’a pas servi à rien. C’est ça qu’il avait envie de m’apprendre et j’en ai fait ma vie. Merci. Son savoir n'est pas parti en fumée. Je crée tout un décor, mais mon amour est dans la musique, la musique pure, l’harmonie, l’accord... C’est tout ça qu’il m’a offert. Avec cet album, ce ne sont que des accords que j’avais jamais réussis à placer.
Maintenant que j’ai un enfant, je fais pareil. Avec la musique, la vie est belle. On peut rêver, exprimer son âme. Et le milieu de la musique, celui de la bonne musique en tout cas, est le meilleur milieu que j’ai pu approcher. Les soirées dans le milieu du cinéma, c’est concours de bites et nez dans la coke. La mode… pffff; c’est froid. La musique, ça fait rêver, mais c’est cool. Aller faire Coachella, c’est cool. Oui, je voudrais que mon fils soit dans ce milieu-là. Mais jamais je ne le forcerai, je suis pas un nazi, hein.
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Ah, ça c'est sympa. On a quitté le monde des enfants là… (Rires). On est dans un entre-deux? Vous voulez que je parle de Sofia? Non? Ou de lui (Bill Murray) comme père? Etre un bon père, c'est quelque chose qui se prévoit très jeune. Bien avant de l’être. Il faut savoir très tôt pour quoi on est fait. Il faut savoir très tôt se regarder dans un miroir et se demander quelles sont ses qualités, quels sont ses défauts, pour savoir ce que tu as à offrir. Et aujourd’hui, je jubile d’être le père que je suis parce que finalement mon fils peut aller dans la plus mignonne petite crèche de Paris, vivre dans une super maison à Montmartre avec un jardin, avoir une chambre comme dans Le Jouet avec Pierre Richard. Rires.
Ça, il y a longtemps que je l’ai construit. J’ai cru en l’amour. J’ai toujours essayé de construire une famille, quelque chose de stable, vivre une véritable histoire d’amour. Que tout ça soit sain pour l’enfant. (Il rit en roulant une 3e fois).
J’ai attendu d’être prêt psychologiquement. J’ai fait quasiment 31 ans de dépression, je voulais être prêt, pas être dans un état tel que je lui aurais refilé toutes mes névroses. J’ai fait de l’hôpital psychiatrique et il fallait que je me protège de moi. J’ai eu besoin de toutes ces années, pour me sentir bien, me soigner.
Et puis je suis tombé amoureux. Dans la foulée, je sors Sexuality, avec ma compagne sur l’album. Halala. Et là, ça cartonne. J’ai compris les sensations du bonheur et je me suis dit que mon intelligence ne devait servir qu’à aller dans le sens du bonheur et de la tendresse. Ça fait huit ans que je vis dans ce sens. Le père, c’est le château fort, un château fort gentil. Pour la suite, si ces bases sont là, il ne faut pas se prendre la tête, ça se fera comme ça se fera.
Bon, parfois, il m’arrive d’être encore colérique. Mais je me maîtrise, sauf quand je commence à être bourré. Il y a peu de temps, j’ai failli étrangler Kavinsky. Il est gentil, il m’en veut pas, c’est un des mecs les plus extraordinaires que je connaisse.
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Les Disney… Je trouve les musiques souvent très réussies. Ils ont mis la barre très haut, surtout dans les 50’s. J’adorais leur côté Gershwin. Aladdin la chanson principale (il la chante, puis la fredonne, Ce rêve bleu....) représente un côté de la musique que j’adore: la musique faite pour les petits, sans cynisme, pour les faire rêver. Je respecte ça tout autant que la musique faite pour les ultra hipsters barbus. C’est pour ça que sur mes albums, et encore plus sur L’Aventura, il y a une ou deux chansons légères, qui parlent d’amour, du merveilleux.
Il faut être fort pour assumer son côté enfant, sans être grotesque et tomber dans le gnangnan. Je vomis le gnangnan. Il faut vivre avec tout ça. Les ennemis du monde sont justement ceux qui ont oublié ça. Que c’était chouette de mater les dessins animés. Qui n’ont pas assez de cœur pour se dire, «ha une chanson de jeune fille, j’aime bien ça». Le fait d’aimer des petites choses mignonnes, c’est ça les vraies valeurs, le vrai truc.
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Michael Jackson, ça ne s’entend peut-être pas dans ma musique, mais c’est une influence énorme. La qualité musicale, la qualité de son chant. Thriller est sorti quand je devais avoir 13 ans. J’avais tout, les teeshirts, les disques… Bien plus tard, j’ai commencé à penser au sacrifice. Avec lui, c’est le rêve américain qui s’est effondré. C’est bien de se sacrifier pour bien faire, de s’offrir à son travail, mais il y a une limite. C’est bien, pour nous auditeurs, qu’il soit allé aussi à fond, à aller jusqu’à changer de tête pour continuer à plaire. Il s’est transformé en monstre en se sacrifiant. C’est une grande leçon pour les artistes. Il y a la vie d’homme, elle est saine, cool et à coté on fait notre art. Mais le sacrifice de tout, pour montrer qu’on est le meilleur, que jamais personne fera aussi bien…
Aujourd’hui, on sait que les artistes sont des gens comme les autres. Ça ne sert plus à rien de jouer au super-héros. Cette pression, cette vision de l’art comme pouvait l’avoir des stars, cette vision de la réussite n’existe plus. Et ça, c’est un message que les artistes doivent prendre en compte et se réadapter au monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire faire rêver d’une autre façon que le faisaient les Stones (on loue un jet, des villas, on partouze à plein, ce n’est plus comme ça).
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Les gens aimeraient bien voir comment je suis sans barbe? Hahahaha. C’est bien simple, quand je suis pas rasé, je suis vraiment le sosie de Steffi Graf. Le même. En mec.
Recueilli par Nadia Daam et Johan Hufnagel
Nous avons rassemblé en une playlist Spotify les chanteurs ou groupes évoqués au cours de cet entretien: