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«Gabriel Garcia Marquez est comme un chef d'État», disait Fidel Castro. «La question est: de quel État?» Disparu ce jeudi 17 avril, l'écrivain colombien a connu de nombreuses amitiés politiques durant sa vie, de l'ancien Premier ministre espagnol Felipe Gonzalez à Bill Clinton en passant par François Mitterrand. Le 21 mai 1981, il faisait même partie de la délégation d'écrivains, latino-américains (Octavio Paz, Carlos Fuentes) ou non (William Styron, Elie Wiesel) conviés à l'investiture du nouveau président de la République à Paris.
Comme le raconte son biographe Gerald Martin, Garcia Marquez a découvert le personnage de Mitterrand en 1956 en couvrant à Paris, pour le journal El Independiente, le procès de «l'affaire des fuites», par laquelle les ennemis du ministre de l'Intérieur du gouvernement Mendès France avaient tenté de mettre fin à sa carrière politique. Les deux hommes sympathiseront des années plus tard après que le poète chilien Pablo Neruda aura conseillé à Mitterrand de lire les livres de Garcia Marquez.
«Mitterrand était bel et bien un homme de lettres, dans le sens révérencieux et légèrement fataliste où seuls les Français l’entendent», écrira Marquez, tandis que Carlos Fuentes a lui rapporté ce portrait de l'écrivain par Mitterrand:
«Un homme semblable à son oeuvre: solide, souriant, silencieux... maître d'un silence comme seules les forêts tropicales peuvent en créer.»
Une amitié qui s'étendra aussi à Danielle Mitterrand, à l'écrivain et conseiller Régis Debray (qui tous deux assisteront à la remise du Nobel de littérature 1982) ou encore au ministre de la Culture Jack Lang. Et qui poussera même Garcia Marquez, dans une interview à Playboy en 1982, à démentir servir à Mitterrand de conseiller officieux sur les affaires latino-américaines:
«Vous avez employé le mot conseiller? Non. Le président Mitterrand n'a pas besoin de conseils sur l'Amérique latine. Parfois il a besoin d'informations, alors nous parlons.»
De cette amitié, l'écrivain a notamment laissé un témoignage des prémices de la campagne présidentielle de 1981, puis de la victoire:
«La dernière fois que je l’ai vu, il venait de présenter sa candidature pour la troisième fois et il m’a fait l’honneur de me convier dans son bureau de la rue de Solférino pour prendre congé. Ce ne fut ni une prémonition ni une illusion, mais une réalité absolument évidente qui fit que, cette fois-là, j’ai eu le sentiment qu’il agissait déjà en Président de la France.
L’impression ne fut pas la même alors qu’il l’était devenu. À six heures de l’après-midi, sous une douce bruine, il traversa seul et à pas mesurés la place du Panthéon, deux roses rouges à la main.
Il entra seul dans l’espace glacial du Panthéon. La foule gardait un silence si profond qu’il ne pouvait s’agir que du saisissement inexorable qui vous prend face au mystère insondable de la poésie. Et puis, ce fut une jubilation cataclysmique qui éclata, commençant au Quartier latin et se propageant de proche en proche à toute la ville.
Pour la première fois depuis le mai de gloire de 1968, le torrent irrépressible de la jeunesse était dans la rue, mais cette fois-ci il avait débordé ses berges non pas pour désavouer le pouvoir, mais poussé par l’ivresse d’un délire laissant entrevoir qu’une époque heureuse avait commencé.»
J.-M.P.