Parents & enfants / Culture

Il faut défendre le droit à l'aventure pour nos enfants surprotégés

Les bambins portent désormais casques et genouillères, jouent sur des sols molletonnés, des toboggans presque plats, sous le regard permanent de leurs parents. Ça craint.

REUTERS/Gleb Garanich
REUTERS/Gleb Garanich

Temps de lecture: 3 minutes

Des écoles primaires américaines ont récemment interdit à leurs élèves de jouer à chat ou à la balle au prisonnier pendant la récréation. Ces activités sont considérées comme trop dangereuses. Imaginez : des enfants courent partout de manière imprévisible, ils lancent des ballons (souvent durs!), et tombent sur un sol en asphalte. Si un enfant se blesse, les parents peuvent faire un procès, et il arrive que l'école paie des dommages et intérêts. Un district scolaire de Virginie de l'Ouest s'est débarrassé de toutes ses balançoires pour des raisons similaires.

Les bambins portent désormais casques et genouillères pour la moindre balade en trottinette, et leurs aires de jeu ont des sols molletonnés, des angles arrondis, et des toboggans presque plats. Malgré toutes ces précautions, les parents sont constamment derrière leur dos.

Dans un article de The Atlantic intitulé «Hé les parents, laissez vos enfants tranquilles!», la journaliste Hanna Rosin —également journaliste pour Slate.com— analyse cette tendance à la surprotection. Quand elle était petite, Hanna Rosin ne voyait presque pas ses parents le weekend: elle allait jouer avec des enfants du quartier et réapparaissait uniquement pour manger le soir.

Maintenant qu'elle a trois enfants, elle passe presque chaque minute de son temps libre avec eux. Soit à jouer avec eux, soit à les conduire à des cours pendant lesquels d'autres adultes structurent leurs activités. Ils ne sont donc jamais laissés à eux mêmes. «Quand ma fille a eu dix ans, mon mari s'est rendu compte que dans toute sa vie, elle n'avait probablement pas passé plus de dix minutes sans supervision adulte».

Pourtant, les enfants ont réellement besoin d'explorer le monde par eux mêmes, de prendre des risques et d'apprendre à surmonter leurs peurs. Sans ce genre d'expérimentation, ils deviennent potentiellement plus peureux et phobiques, explique la chercheuse en psychologie Ellen Sandseter.

Avant Hanna Rosin, une autre journaliste, Lenore Skenazy, avait écrit un article pour expliquer pourquoi elle avait laissé son fils de neuf ans prendre le métro tout seul à New York. «A mon époque, personne n'aurait trouvé ça particulièrement risqué, maintenant, c'est comme si je le laissais faire du stop au Yémen».

Elle a depuis créé un blog intitulé «Enfants Elevés en Plein Air», en référence aux poulets fermiers qui grandissent hors de leurs cages. Elle y encourage les parents à libérer leurs petits, et catalogue aussi les absurdités sécuritaires du jour, comme ces petites sandales retirées de la vente car elles étaient décorées d'une fleur qui pouvait constituer un risque d'étouffement (si elle se détachait et si elle était ingérée)...

En réaction à ces crispations, un nombre croissant d'universitaires et d'associations tentent de défendre un droit à la liberté et à l'aventure. Certains de ces militants ont récemment été au pays de Galles pour visiter The Land, un espace de jeu qui encourage l'autonomie, et qui ressemble à un terrain vague, voire à une décharge publique. Des vieux pneus, des matelas et des poupées abîmées trainent sur le sol boueux, et on peut faire du feu dans un gros bidon en tôle. Il y a aussi des outils et des matériaux de construction pour que les jeunes puissent créer leurs propres jouets (ou maisons).

Les parents ne viennent en général pas sur les lieux, mais The Land - créé il y  a deux ans - est surveillé par des moniteurs spécialisés qui interviennent le moins possible. Ces terrains d'aventure sont assez populaires en Angleterre et en Allemagne, mais il s'agit au départ d'une idée conçue en 1943 par un paysagiste danois qui avait observé que les enfants préféraient jouer dans les chantiers plutôt que dans les jardins d'enfants typiques. Il a donc laissé des jeunes créer leur propre espace de jeu avec des matériaux de construction. Il en existe toujours quelques-uns à Copenhague.

En France, ces terrains ont été introduits dans les années 1970, mais ont quasiment tous disparu. Le terrain des Petits Pierrots dans le XXe arrondissement de Paris a fermé en 2009, et devrait être bientôt remplacé par un jardin partagé. Sur le site de l'association, on peut lire une description de la philosophie du lieu: «Le Terrain, c'est une alternative au square ou au jardin réalisés par les adultes pour les enfants. C'est la possibilité donnée aux enfants d'intervenir sur leur propre milieu de vie.»

A Londres et à Berlin, certains de ces espaces sont de véritables petits paradis de créativité (en général gratuits). Dans le parc berlinois Kolle 37, les jeunes de 6 à 16 ans peuvent construire des huttes en bois, tisser des paniers, nourrir des lapins et cuir du pain dans des feux de bois.

Les cabanes faites par les enfants n'ont pas l'air très stables mais le but est de les laisser faire des erreurs et recommencer... Ça s'appelle l'enfance, non?

cover
-
/
cover

Liste de lecture