Culture / Politique

Olivier Py, vous avez tort, le festival d’Avignon doit rester à Avignon

Devant le Palais des Papes à Avignon, le 19 avril 2011. REUTERS/Jean-Paul Pelissier
Devant le Palais des Papes à Avignon, le 19 avril 2011. REUTERS/Jean-Paul Pelissier

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A Avignon, le candidat du Front national, Philippe Lottiaux, est arrivé dimanche soir en première place avec 29,63% des voix. Les sondages annonçaient une victoire pour le PS au 2d tour, à l’issue d’une triangulaire, mais aussi un PS en tête à l’issue du premier tour. Choc, donc, pour les anti-frontistes.

Un choc au point que le metteur en scène Olivier Py, nouveau directeur du Festival d’Avignon qui présentera en juillet la première édition de son mandat, a expliqué à France Info que si le FN l’emportait, l’événement ne pourrait avoir lieu dans la ville.

Les conséquences seraient pour lui «catastrophiques»:

«Moi je ne me vois pas travaillant avec une mairie Front national, ça me semble tout à fait inimaginable donc je pense qu’il faudrait partir, il n’y aurait aucune autre solution; je ne vois pas comment d’ailleurs le festival pourrait vivre, défendre ses idées qui sont des idées d’ouverture, d’accueil de l’autre, je ne vois pas comment le festival pourrait vivre à Avignon avec une mairie Front national, ça me semble inimaginable.»

Olivier Py a raison, le Front national a des idées tout à fait opposées à celles du Festival. Le FN hait la modernité en art. Il la détestait déjà quand Bruno Mégret s'insurgeait contre l'érection des Colonnes de Buren au Palais Royal. Il ne la déteste pas moins aujourd'hui, quand le directeur de campagne de Roger Paris, candidat FN à la mairie de Reims écrit un texte intitulé «FRAC [fonds régional d’art contemporain]: un écrin pour de la merde».

Avec les habituels reproches assimilant les oeuvres aux réalisations d'«un enfant de 5 ans», «voire [d']un animal auquel on aurait mis de la peinture sur les pattes et la queue». Evoquant des «réalisations plastiques que vous ne voudriez pas dans votre jardin, mais devant lesquelles les bobos de la gauche caviar (les FRAC ont été créés en 1982 et évidemment maintenus par le RPR puis l’UMP) ou plus simplement les snobs s’extasient pour faire "moderne" et se distinguer de ce peuple qu’ils méprisent et qui trouve affreuses ces "machins"».

Les villes précédemment gérées par le FN montrent que cette opposition du FN à la modernité se traduit très concrètement.

A Orange, Toulon, Vitrolle et Marignane, villes qui ont été conduites par le FN, les mairies ont coupé les subventions aux associations sociales et culturelles jugées hostiles, et privilégié la culture folklorique à la création contemporaine. Surtout rien de subversif, rien de dérangeant. Du joyeux divertissement plutôt que de l'art.

A coup sûr, le festival d'Avignon représente tout ce que le FN déteste. Et pas que le FN. Dans un entretien paru en 2006, Philippe Muray, philosophe anti-moderne, idole des conservateurs, décrivait «le rebelle de confort» comme celui «qui se roule par terre et fait pipi sur les planches d’Avignon au nom de l’art qui doit toujours avancer en dérangeant et déranger en avançant».

Fabrice Luchini, qui a popularisé Muray en en donnant des lectures, expliquait en 2011 que le Festival lui semblait être devenu «le lieu d'une secte rejettant les grands textes». Le Figaro s'insurgeait alors: «Qui connaît les artistes invités? Les auteurs et metteurs en scène français sont négligés au profit d'artistes étrangers dont on doit décrypter les notes d'intention pour comprendre les pièces»...

Occuper le terrain

Quitter la cité des Papes comme l'envisage Olivier Py n’a pas de sens, si ce n'est celui d'un renoncement.

Ce serait céder à l'anti-modernité. Or, elle a déjà assez d'alliés: Civitas, qui veut interdire la diffusion de Tomboy. Jean-François Copé, qui veut censurer des livres pour enfants. Les groupes qui font pression sur une trentaine de bibliothèques publiques pour les pousser à faire un tri idéologique dans leurs rayons. Trois ans seulement après que le Mouvement de la jeunesse catholique de France a détruit la photographie d’Andres Serrano, Piss Christ, dans cette même ville d'Avignon et tenté de faire arrêter les représentations de la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci, jugée blasphématoire.

A Orange, quand le Front national a accédé aux responsabilités, le financement des Chorégies, festival d'opéra et de musique classique, en avait été menacé. Le Festival d'Avignon est financé à 59% par des subventions publiques, dont 13% de la Ville d'Avignon, hors prestations en nature. Si la mairie décide de supprimer ces subventions, et qu'une autre ville l'accueille en lui donnant de gros moyens, la question du déménagement se posera différemment.

Mais dans l'état actuel des choses, priver les Avignonnais du Festival ne servirait à rien, sinon à laisser le FN triompher. Le refus de se salir la main en serrant celle d'un extrémiste, pour mieux laisser celle de l'extrémiste s'abattre sur la ville, est une résistance vaine et pauvre.

Si Olivier Py croit à la force de ce Festival, s'il croit qu'il est cet «oasis de l'intelligence et de la pensée», lui qui a tant de fois prôné la résistance, doit l'appliquer. Appliquer aussi le programme qu'il prévoyait pour l'événement: métisser socialement le public, le rajeunir, rendre l'événement plus populaire. Pour qu'il ne soit pas la caricature que l'on en fait.

Olivier Py soutenait en 2003 que la culture devait triompher face aux dynamiques financières, et disait alors que la résistance pouvait être insistance, persistance. La persistance du Festival face aux conservatismes, au dévoiement de la culture pour mettre à la place de l'art des marionnettes et des costumes médiévaux; des troubadours en lieu d'acteurs, des gens qui ne réciteraient que d'anciens textes, les mots trempés dans du formol plutôt que de réinventer le langage, la pensée. Cette persistance serait la vraie résistance.

Olivier Py a raison, le festival d'Avignon est dans son essence en contradiction avec le Front national. Mais c'est bien pour ça qu'il doit rester à Avignon.

Charlotte Pudlowski

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