Culture

«Malcolm», la série culte qui s'est fait désirer

Après des années d'attente, la série débarque enfin en DVD en France. L'occasion de lui crier notre amour indéfectible.

Bryan Cranston met la sauce - DR
Bryan Cranston met la sauce - DR

Temps de lecture: 5 minutes

Depuis mardi 4 mars, les fans français d'une des séries les plus désopilantes des années 2000 peuvent se procurer un coffret DVD attendu depuis des lustres et voir s'afficher, sur fond de rock énervé de They Might Be Giants, le menu qui suit:

Véritable arlésienne de l'édition vidéo pour de fâcheuses raisons de droits musicaux, la faute à une belle bourde de la Fox qui fait rager les fans depuis des années, la série Malcolm créée par le canado-américain Linwood Boomer est donc enfin trouvable dans les bacs DVD français. Seule sa première saison -sur les sept produites entre 2000 et 2006- est pour l'instant disponible, en attendant l'arrivée de la saison 2 dans quelques semaines. On n'aurait pas craché sur la sortie directe d'une intégrale, mais bon, life is unfair, comme dirait l'autre.

Notons au passage que l'édition française semble clairement plus recommandable que la rachitique -et sans sous-titre- intégrale sortie outre-Manche, à en croire le site de fans Malcolm France, véritable chapelle vouée au culte du show, qui a fêté ses dix ans récemment et recueille près de 440.000 fans Facebook. Inutile d'espérer une sortie Blu-ray faute de coûteux masters HD disponibles comme c'est souvent le cas pour les séries plutôt anciennes -à de rares exceptions près comme bientôt avec La Petite Maison dans la prairie.

Ce dernier contre-exemple n'est pas choisi au hasard: Linwood Boomer, le créateur de Malcolm, a en effet débuté sa carrière comme acteur dans La Petite Maison dans la prairie! De 1978 à 1981, il incarne le personnage Adam Kendall dont la belle gueule a émoustillé pas mal de jeunes filles en son temps, à en juger par les montages hommages gentiment ringards visibles sur YouTube:

Mais revenons à Malcolm. Pour les profanes, rappelons que la série suit «le quotidien complètement déjanté de Malcolm, petit génie de 9 ans, de ses frères Francis, Reese et Dewey et de leurs parents Lois et Hal» comme l'écrit le synopsis de l'éditeur français Showshank Films, qui ne manque évidemment pas de rappeler au passage que la série a révélé Bryan Cranston avant son explosion dans Breaking Bad.

Récompensé (entre autres) par sept Emmy Awards, ce show culte -et le terme n'est ici pas galvaudé- diffusé dans plus de 50 pays semble parfois souffrir d'un manque de reconnaissance. Dans un élogieux récent article des Inrocks, Olivier Joyard qualifie même Malcolm de série «sous-estimée», écrivant au passage: «vue de 2014, cette sitcom presque toujours drôle frappe par la finesse et le sérieux avec lesquels elle travaille son thème principal, les freaks et autres inadaptés», ce qu'on aurait bien du mal à contredire.

Dans une sorte de réflexe impulsif de fanboy vexé, on a d'abord été surpris de penser que Malcolm pourrait avoir été «sous-estimée». Par qui, pourquoi? Dès ses débuts et encore aujourd'hui, il aurait fallu une sacrée dose de mauvaise foi pour nier l'inventivité du show par rapport au tout-venant de la sitcom, tant par ses gimmicks narratifs (dialogues tordants, humour absurde, apartés face caméra du personnage principal, intros d'épisodes jouissives déconnectés du reste de l'intrigue...) que dans ses ambitions visuelles (tournage en caméra unique et sans public, montage énergique qui sera également adopté par Scrubs un an plus tard...). Et puis, en réfléchissant un minimum, on a finalement compris à quoi pouvait faire réference cette «sous-estimation» évoquée par Les Inrocks.

Ce souci d'image -très relatif car n'exagérons rien, malgré son lot de haters, la série affiche un beau score de 7,6/10 sur SensCritique, une moyenne réalisée avec plus de 15.000 avis- peut s'expliquer par le contexte de lancement du programme en France en décembre 2001 sur M6, quelques mois après Série Club si on en croit la mémoire des wikipediens. Rappelons qu'à l'époque, l'offre télévisuelle gratuite est bien plus réduite qu'aujourd'hui: la TNT française n'existe pas (tout comme les services de replay ou de VOD proposant de l'inédit fraîchement diffusé outre-Atlantique).

Quant au téléchargement illégal et autre streaming prisé par les sérievores infoutus d'utiliser Bittorent, la pratique n'est pas encore un sport national. Plus légaux mais tout aussi absents du tableau: YouTube et les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook qui font désormais monter la sauce illico presto sur une série -prenez True Detective, par exemple, qui au bout de trois épisodes diffusés était aussi disséquée, adulée, parodiée, critiquée, et étudiée que des shows avec six saisons derrière eux.

En résumé, en ce début des années 2000, le public français est -comparé aux usages actuels- beaucoup moins sensible à toute hype télévisuelle venue d'outre-Atlantique, sauf si celle-ci a tapé dans l'œil d'un diffuseur français. Soit M6 dans le cas présent, autrement dit la chaîne qui lançait quelques mois plus tôt Loft Story et Caméra Café. Le téléspectateur français découvre ainsi Malcolm uniquement en VF (certes, plutôt réussie) entre deux rediffs de séries 80's ou 90's et une pub pour le Morning Live de Michaël Youn.

Pas vraiment les conditions dans lesquelles on a découvert plus récemment des perles comiques encensées comme, au hasard, Community ou Louie, certes. Mais pas de quoi insinuer pour autant que le public n'avait alors pas conscience de la qualité du programme proposé, quand bien même il n'était pas décortiqué scène par scène par des blogs spécialisés au lendemain de sa diffusion comme c'est désormais monnaie courante.

On parle quand même ici d'une série tout public créée pour un network -en l'occurrence, la Fox- qui n'hésitait pas à faire des vannes athéistes avec des personnages prépubères...

...ou à insinuer de manière plutôt subversive que les jeux vidéo violents auraient plutôt tendance à calmer les kids qu'à les énerver:

L'interminable non disponibilité en vidéo de la série, couplée à ses rediffusions plus ou moins aléatoires sur la TNT, n'ont évidemment pas aidé le show à «gagner en respectabilité», tout comme les carrières post-Malcolm des protagonistes du show (à l'exception évidente de Bryan Cranston). Aux dernières nouvelles, Frankie Muniz est batteur dans un groupe anodin entre deux tournages de films pas mémorables, à l'image du récent téléfilm SyFy Tempête à Las Vegas (aka Blast Vegas) diffusé en catimini début janvier dernier en plein après-midi...sur M6:

Ce qui frappe néanmoins le plus dans l'après-Malcolm, c'est la discrétion du créateur Linwood Boomer qui s'était inspiré de son enfance pour écrire la série. Son seul crédit depuis Malcolm en tant que scénariste dixit sa fiche IMDb est l'écriture du pilote de The Karenskys, un projet de sitcom qu'il a développé en 2009 pour CBS. Récit du retour dans sa ville natale d'une jeune fille à la famille très envahissante, ce projet créé par Boomer n'a jamais dépassé le stade du pilote, pourtant réalisé par la réalisatrice attitrée de How I Met Your Mother (ledit pilote semble introuvable sur le net, merci de faire signe en commentaire si ce n'est pas le cas).

Cinq ans après cette déconvenue, la seule activité du bonhomme est désormais celle de «producteur consultant» sur la chouette série de Mindy Kaling (The Mindy Project, on en reparle en détail bientôt). Et c'est d'ailleurs une interview de Kaling qui permet peut-être de savoir pourquoi Boomer ne semble pas pressé de retrouver de hautes responsabilités créatives en télévision.

L'actrice, scénariste et réalisatrice racontait fin 2012 au site Vulture cet échange avec le créateur de Malcolm avant d'entamer le tournage de sa propre série: «Juste avant le tournage, Linwood m'a dit de me mettre dans la meilleure condition physique de ma vie. Au début, je pensais qu'il voulait dire "oh, en tant qu'actrice, il faut que tu sois en forme". Il m'a dit "non, mets toi en bonne condition physique parce que le show va t'épuiser, te casser"». Et de raconter comment, incrédule à la base, elle a vite compris l'avertissement de Boomer après avoir chopé un rhume carabiné en plein mois d'août à New York.

Désormais âgé de 58 ans -soit trois ans de moins que l'hyperactif Chuck Lorre toujours occupé, entre autres, par Mon Oncle Charlie et The Big Bang Theory- pas sûr que le natif de Vancouver et père de quatre enfants ait envie de se sentir «cassé et épuisé» à nouveau. En 2012, lors d'une conférence dédiée au scénario à Toronto, il expliquait avoir eu besoin d'une pause de deux ans après Malcolm, estimant qu'il n'avait plus rien d'autre à dire après la fin du show. Sa pause commence à s'éterniser un peu, mais s'il y a bien une chose que la récente sortie vidéo de Malcolm a montré, c'est que ses fans savent être patients.

Alexandre Hervaud

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