Culture

Resnais = Azéma + Arditi + Dussollier + Wilson. Ou l'art de la combinaison d'acteurs

Resnais aurait probablement aimé faire jouer tous les personnages de tous ses films par les deux mêmes acteurs.

Alain Resnais et Sabine Azéma à Cannes en 2012. REUTERS/Yves Herman
Alain Resnais et Sabine Azéma à Cannes en 2012. REUTERS/Yves Herman

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On aura très souvent entendu ce même reproche formulé en choeur par quelques observateurs agacés: Alain Resnais serait un réalisateur paresseux, voire pantouflard, par la simple façon dont il compose les distributions de ses films depuis une trentaine d’années. Dix longs-métrages avec Sabine Azéma (sa compagne et actrice fétiche depuis 1983), neuf avec Pierre Arditi, sept avec André Dussollier… Après une première partie de carrière placée sous le signe de la variété, les années 80 ont fait place pour Resnais à une ère de stabilité dans ses relations avec ses partenaires de travail.

Un état de fait qui n’a d’ailleurs pas déplu qu’à certains spectateurs. Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ne s’en sont jamais cachés, eux qui ont adapté pour lui la pièce Intimate Exchanges d’Alan Ayckbourn en 1993. En écrivant Smoking / No Smoking, les Jabac (surnom donné par Resnais) espéraient pouvoir interpréter eux-mêmes les neuf personnages du diptyque… finalement incarnés par Sabine Azéma et Pierre Arditi. Mécontents de s’être ainsi fait voler la vedette par le tandem fétiche du metteur en scène, Jaoui et Bacri ont même dû la jouer tactique pour leur collaboration suivante : le scénario choral d’On connaît la chanson allait enfin leur permettre de pouvoir jouer chez Resnais, tout en laissant le champ libre à Azéma et Arditi, castés ici encore.

Ils ont joué plus de trois fois chez Resnais.

Alors quoi? Fainéantise ou copinage? Rien de tout cela. Depuis (au moins) La Vie est un roman, Alain Resnais n’a fait qu’alimenter sa modeste ambition de portraitiser l’humanité toute entière à travers des films souvent graves, parfois fantasques, les dispositifs les plus poussés servant parfois de vitrines opaques derrière lesquelles masquer sa détresse aussi longtemps que possible.

Ce qu’il pousse à son paroxysme dans Smoking / No smoking, faisant interpréter cinq femmes et quatre hommes par les deux mêmes acteurs, il le pratique depuis toujours ou presque dans son œuvre si stimulante. La méthode Resnais, c’est remonter aux origines du monde et en exploiter à l’envi la combinaison élémentaire. S’il l’avait pu, si le système ne risquait pas de sembler trop étouffant ou répétitif, Resnais aurait probablement fait jouer tous les personnages de tous ses films par les deux mêmes acteurs.

Dès lors, choisir la femme que l’on aime à chaque film ou presque n’est en rien de la promotion canapé ou de la facilité, mais bien une façon d’appuyer ce propos: pour Resnais, Azéma est à la fois la femme et toutes les femmes. Resnais la rêve en Ève et s’imagine en Adam, mais ne pousse pas le bouchon jusqu’à jouer lui-même dans les films qu’il dirige.

D’autres l’ont fait, souvent à tort, mais lui s’est trouvé plusieurs ersatz idéaux, faciles à diriger, chacun exprimant une facette différente de son tempérament. Cabot, généreux, capable de fourberie, Resnais a choisi Dussollier, Wilson et Arditi comme principaux représentants. Et c’était parfait comme ça.

Récemment, Alain Resnais semblait vouloir s’ouvrir à de jeunes générations, sans pour autant balayer ses certitudes du revers de la main. Jalil Lespert, Audrey Tautou, Isabelle Carré, Mathieu Amalric, Hippolyte Girardot: il y avait chez l’artiste une volonté certaine de s’offrir un peu de fraîcheur, de ne pas devenir un cinéaste vieillissant et incapable de filmer les moins de soixante ans.

Jusqu’à la fin, Alain Resnais aura pourtant continué d’employer ses acteurs fétiches : Pierre Arditi et Lambert Wilson dans Vous n’avez encore rien vu, André Dussollier dans Aimer, boire et chanter. Quoi de plus normal pour deux films hantés de part en part par l’idée d’une mort omniprésente ou imminente.

Thomas Messias

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