Culture / Égalités

A Hollywood, l'avortement mène à la mort

Alors que plusieurs milliers de militants anti-avortement ont défilé à Paris et que l'Espagne veut restreindre ce droit des femmes à disposer de leur corps, une nouvelle étude montre que la représentation de l'avortement dans les films et séries américains renvoie à une pratique dangereuse, voire mortelle, ce qu'elle n'est pas.

Kate Winslet dans Les Noces rebelles de Sam Mendes.
Kate Winslet dans Les Noces rebelles de Sam Mendes.

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La vie sur grand écran peut être dangereuse —si vous êtes une femme qui tombe enceinte de façon fortuite. Une nouvelle étude montre qu’Hollywood exagère grossièrement les risques liés à l’avortement: le nombre d’intrigues incluant des avortements a augmenté au cours des récentes décennies, et les films et séries tuent souvent les personnages qui se contentent ne serait-ce que d’envisager d’avorter.

«Le lien entre l’avortement et la mort peut être très fort dans l’esprit du public» explique Gretchen Sisson, chercheuse en sociologie à l’UCSF, université de San Francisco, aux Etats-Unis. Elle est la co-auteure de cette nouvelle étude, à paraître dans la revue Contraception.

«Cela crée un mythe social selon lequel l’avortement est bien plus dangereux qu’il ne l’est en réalité».

Sisson et son co-auteur ont fouillé IMDB.com et trouvé 472 films et séries disponibles pour le public américain qui mentionnent l’avortement —le plus précoce étant un film muet de 1916: Where Are My Children.

Une recherche sur Google a permis de dénicher 43 titres supplémentaires. Les résultats montrent une tendance à la hausse constante: entre 1963 et 1972 (l’année précédant l’arrêt légalisant l’avortement aux Etats-Unis, Roe v. Wade), 29 films et séries ont mentionné un avortement; mais entre 2003 et janvier 2013, le total était de 116. Cette augmentation pourrait suggérer que la société est de plus en plus à l’aise avec l’avortement, mais Sisson remarque que ça pourrait tout aussi bien refléter le plus grand nombre de films et de séries produits aujourd’hui.

Sur les 310 films et épisodes ayant un avortement comme élément essentiel de l’intrigue, ou une personne pratiquant l’avortement comme personnage essentiel, 9% mettaient en scène la mort de la femme qui avait eu recours —ou même simplement envisagé d’avoir recours — à l’avortement. Cela inclut cinq films et séries dans lesquels une femme décide de se faire avorter, change d’avis, mais meurt quand même à la fin. Le risque réel de mort après avoir subi un avortement dans des conditions légales, aux Etats-Unis [comme en France] est pourtant de moins de 1 pour 100.000 procédures.

Paradoxalement, d’autres situations médicales s’avèrent trouver des issues plus heureuses sur les écrans que dans la vie réelle. Des études ont montré que la réanimation cardio-pulmonaire est bien plus effective à la télévision et dans les soap, où les personnages se réveillent beaucoup plus souvent du coma.

Evidemment, le risque de mort par avortement avant que la procédure ne devienne légale était bien plus élevé (et continue de l’être dans beaucoup de pays en développement), et nombre des films dans lesquels ces morts adviennent—Vera Drake, Les Noces Rebelles, où Kate Winslet se fait avorter avec une sonde et une pompe puis meurt— sont des films d’époque, d’un temps précédent la légalisation de l’avortement.

Sisson remarque que certains scénaristes veulent peut-être, par ce biais, souligner l’importance de la légalisation de l’avortement, en montrant les issues tragiques des avortements précédant Roe v. Wade, mais la tendance générale qui consiste à dépeindre l’avortement comme une pratique risquée, indique, selon elle «un malaise actuel vis-à-vis de l’avortement». Elle ajoute: «les histoires se terminant par une adoption sont aussi bien plus courantes que dans la réalité».

Un moment remarquable de la télévision représentant avec acuité la réalité fut un épisode de Maude en deux parties, en novembre 1972. Le personnage de Bea Arthur, Maude Findlay, 47 ans, s’y retrouve enceinte de manière imprévue puis avorte. L’épisode fut diffusé deux mois avant la décision Roe v. Wade, mais Maude vivait à New York, où l’avortement était déjà légal. Girls et Parenthood sont deux exemples récents de séries qui ont aussi montré l’avortement de façon honnête, mais, étant donné que plus d’un million de femmes se font avorter tous les ans aux Etats-Unis, (un peu plus de 200.000 en France, nombre quasi-stable depuis 2006) c’est assez fou que l’avortement comme option sûre et viable ne soit pas devenu un banal élément d’intrigue. La grossesse, elle, l’est pourtant.

Roxanne Khamsi

Traduit par C.P.

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