Culture

Pleurer devant YouTube en 5 secondes, c'est possible

Les courtes vidéos du site 5 second-films font rire depuis 2008 des millions d'internautes. Cette semaine, elles les ont fait pleurer.

La déprime, par 5second films.
La déprime, par 5second films.

Temps de lecture: 3 minutes

Il paraît que les blagues les plus courtes sont les meilleures, et ce qui était vrai pour tacler Guy Montagné dans les années 1980 l'est encore plus en ces temps d'attention hypertrophiée. Le carton des vidéos du bien nommé collectif 5-second films (5sf) le prouve sans peine, d'autant qu'on rigole bien plus en traînant 3 minutes sur leur site que devant les 24 épisodes de la dernière saison de How I Met Your Mother.

Il serait injuste d'expliquer le succès des 5sf uniquement par leur brièveté –ce serait faire bien peu de cas de leur imparable humour absurde, gore et hystérique.

Comme le nom l'indique, les vidéos postées sur YouTube par ces petits rigolos californiens ne durent pas plus de cinq secondes –huit en comptant le panneau titre et les crédits. La devise des 5sf ne ment pas sur la marchandise: «wasting your time, but not very much», soit en français : «on vous fait perdre votre temps, mais pas beaucoup».

Il suffit bien souvent d'un jeu de mot débile comme dans l'exemple ci-dessous –où, bonne nouvelle, la blague fonctionne en anglais comme en français– et le tour est joué:

Les sketchs du best-of qui suit ne représentent qu'un fragment de l'«œuvre» créée par une quinzaine de comédiens, scénaristes et réalisateurs mais constituent toutefois une belle porte d'entrée pour les profanes, d'autant qu'on y croise quelques guests comme Weird Al Yankovic et Patton Oswalt:

Le 30 octobre, l'équipe derrière ces perles fêtait les cinq années d'existence du site, rappelant au passage avoir tenu leur objectif insensé: publier un nouveau film chaque jour –hors week-end– sans discontinuer, même pendant l'été, Noël, etc., ce qui représente mine de rien presque 4 heures de contenu et plus de 178 millions de vues.

L'équipe initiale de 5sf s'est rencontrée dans les couloirs de l'école de cinéma de l'USC, l'université californienne basée à Los Angeles d'où sont sortis des gaillards comme Judd Apatow, James Gray ou John Carpenter. Dans les dortoirs de leur fac, les premiers membres de 5sf commettent leurs premiers essais, assez mauvais (Ass Party ou Face Stomptacular) mais formateurs.

L'équipe actuelle se compose de filles et garçons gravitant dans les milieux du stand-up, de l'audiovisuel –l'un d'eux a déjà réalisé un long métrage– et de start-up diverses. Difficile d'en savoir beaucoup plus sur cette fine équipe si l'on se contente de leurs biographies sur le site officiel, blindées d'infos bidons.

Au passage, on remarquera la délicate adresse mail choisie pour joindre leur agent: takeahugeshitonmychest[at]5secondfilms.com, qu'on traduirait par lacheunegrossemerdesurmontorse[at]5secondfilms.com. Un brin plus classe, leur boîte postale est quant à elle basée sur le célèbre Sunset Boulevard de Los Angeles.

Une partie de la team 5sf

Au printemps 2013, le magazine Time a désigné 5second-films comme l'un des 50 meilleurs sites de l'année –une distinction que d'aucuns trouveront bien tardive, voire carrément cruelle l'année de lancement de Vine. Le service de microvidéo de Twitter a clairement fait éclore toute une génération de concurrents directs des 5sf, et même si l'équipe a accueilli à bras ouvert la plateforme, prodiguant même ses conseils pour les néophytes, le succès de Vine explique peut-être la mauvaise nouvelle annoncée le 25 novembre: le rythme de croisière des 5sf va ralentir, l'équipe ne va plus s'imposer de poster coûte que coûte une publication quotidienne.

Une prise de recul qui n'a en soit rien d'étonnant, l'équipe s'apprêtant à tourner en montagne leur premier long-métrage tiré d'un de leurs sketchs, une parodie de film d'horreur féministe baptisée Dude Bro Party Massacre 3: le croquemitaine y sera une femme trucidant des éphèbes peu vêtus. Bien entendu, il n'y a jamais eu de Dude Bro Party Massacre 1 ou 2, mais cela n'a pas empêché le film de cartonner sur Kickstarter où plus de 240.000 dollars ont été récoltés l'été 2013.

Coïncidence fâcheuse, l'annonce de ce ralentissement de production intervient juste après la mise en ligne de nouveaux 5sf particulièrement tristes produits dans le cadre de la deuxième édition de la «Bummer Week», comprendre «la semaine déprimante». Visiblement désireux de montrer la palette de jeu des comédiens et d'expérimenter avec le drame plutôt qu'avec la comédie, l'équipe a posté cinq films aussi courts que d'habitude, mais loin d'être aussi fendards puisqu'il a été successivement question...

... d'enfant disparu...

... de malade en phase terminale...

... d'accident mortel de la route...

... d'alcoolisme...

et d'enfant battu.

Hum. On a un peu plombé l'ambiance, non? Et encore, l'équipe avait sous le coude un autre film traitant de violence homophobe (fichier QuickTime), qu'elle a préféré ne pas publier sur YouTube. Qu'on soit touché ou pas par cette Bummer Week –à en juger par les commentaires d'internautes sur YouTube, c'est majoritairement le cas– elle a le mérite de montrer qu'au même titre que l'humour avec ses chutes et ses punchlines, l'émotion peut elle aussi être convoquée en une poignée de secondes par un regard, une réplique, un silence.

Et venant d'une poignée de rigolos amateurs de perruques outrancières, d'animation cheap et d'hectolitres de faux sang, le choc est d'autant plus grand.

Alexandre Hervaud

PS: bon, on ne pouvait définitivement pas conclure sur une note aussi triste. Coup de chance, au moment où l'on s'apprêtait à renvoyer l'article, un nouveau 5sf «classique» débarquait sur YouTube, et les fans de Batman devraient fortement apprécier:

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