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La vraie recette du döner kebab

Non, le plat n'est pas né à Berlin dans les années 1970. Et enlevez-moi cette sauce blanche et ces morceaux de choux!

<a href="https://www.flickr.com/photos/35815427@N02/29990083956/in/photolist-g5nGYx-2YN5Cm-yrkLHX-thL4c-fDhQrx-thUKn-fDzqiU-BTiW9T-5y9dkK-sfSQy-71z5dD-thL9V-4Su6eW-CrCsoT-bGY2C-4Mm1cb-nrnsK1-6AzzCF-57icuL-w6QZoh-xxW96u-xvVKEP-sLHQ4b-xyKBn2-rkF319-v57UwW-xzfbcV-xhByFN-xhCFhS-xhCLbs-rVK3Q5-sdjxTZ-sdgAHi-rTZpYP-rgvZ8n-rgjsfo-sdaHGw-MG8283-a384CV-4rywB2-4rywyz-4rCBcC-4rCBbf-4rCBa7-4rCB8y-4rCB2j-4rCAZd-rgjqAw-sdaGBf-J29ZvX">Doner – turkish food</a>/ FrugalGlutton.com via Flickr licence <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">Creative Commons CC BY 2.0</a>
Doner – turkish food/ FrugalGlutton.com via Flickr licence Creative Commons CC BY 2.0

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En Turquie, le döner kebab existe au moins depuis le XVIe siècle, mais pas sous la forme d’un sandwich. Stricto sensu et historiquement, le döner kebab, ce sont des tranches de viande rôtissant sur une broche qui tourne.

Il provient du verbe turc «döndurmek» (tourner) et «kebab» (viande rôtie). A l’origine, le döner kebab est fait de mouton, viande favorite des Ottomans pour lesquels rien n’était perdu puisqu’ils utilisaient «l’énorme queue graisseuse» de l’animal pour cuisiner ou «fabriquer des chandelles». On en trouve la trace à Istanbul au siècle de Soliman le Magnifique (le XVIe), selon l’historien Robert Mantran qui décrit ces «fines tranches de mouton qui ont rôti en tournant devant un feu de braise» appelées «deuner kebab», également évoqués par certains voyageurs orientalistes du XVIIIe.

Quant à la manière de rôtir à la verticale, d’enfiler les tranches de viandes sur la broche de manière à former un gros cône qui cuit doucement à 10-15 cm du grill et que l’on débite ensuite en fines lamelles au couteau, est-ce une invention turque?

C’est un restaurateur de Bursa, du nom de Cevat Iskender, qui aurait été le premier, à la fin du XIXe siècle, «à renverser la broche sur sa base et empiler le charbon à la verticale» raconte son petit fils dans un article de l’International Herald Tribune du 11 septembre 1996.

Du veau à Istanbul

Aujourd’hui, m’ont expliqué plusieurs bouchers d’Istanbul, c’est souvent le veau qui est la base du döner kebab. Il convient d’en ôter le gras et les nerfs, avant de le découper en tranches très fines.

Tous le précisent bien: le secret est dans l’art turc de manier le couteau pour préparer la viande. On peut ajouter aussi de l’agneau mais ce n’est pas obligatoire.

Il faut ensuite faire mariner les tranches dans un mélange d’épices, d’huile d’olive et de lait pendant 24 heures après quoi on les enfile sur la broche verticale qui tournera lentement devant le grill. Le charbon est désormais remplacé par un système de résistance électrique ou de brûleurs à gaz. C’est donc cette préparation que les Turcs nomment döner kebab et qu’en Turquie on sert et accommode de nombreuses manières.

A Bursa, le restaurant du grand-père Iskender existe toujours. Il est le rendez-vous de tous ceux qui veulent manger un iskender kebab, une des nombreuses variantes faite de fines lamelles de mouton rôti, couchées non pas dans un pain pide mais sur des morceaux de pain pide et couverts de sauce tomate, de poivrons verts, le tout arrosé de beurre chaud ainsi parfois que de yoghourt mélangé à de la sauce.

Variantes

L’iskender kebab est souvent considéré comme le plus abouti de tous les döner kebab (au sens de plat de viande rôtie en tournant), car il faut une certaine adresse pour verser le beurre fondu et brûlant sur la viande encore chaude. Il est parfois présenté comme le plus classique, c'est-à-dire le plus ancien, de tous les döner kebab puisque la légende aime à dire que l’iskender kebab remonte à l’Antiquité, au temps d’Alexandre le grand (Iskender signifiant Alexandre en turc).

Les autres variantes ne manquent pas, qu’on serve la viande à l’assiette sur du riz (pilavüstu), avec des piments grillés et des tomates (porsyon) ou dans un petit pain rond (tombik) ou encore qu’on en remplisse carrément un morceau de pain fendu en deux. Sans parler d’en fourrer une crêpe fine (dürum) que l’on peut manger sur le pouce.

Autant de recettes bien antérieures à celle du sandwich rond supposément inventé en Allemagne dans les années 1970. En 2011, l’Association des fabricants de döners turcs en Europe (ATDID) a en effet attribué le titre d’inventeur du döner kebab à un immigré d’origine turque, Kadir Nurman.

Avec  la mort de celui-ci à Berlin le 26 octobre 2013, le débat s’anime. Car au Royaume-Uni, c’est quatre ans plus tôt qu’ont été vus les premiers döner kebab, selon le Guardian . Et en Allemagne, un certain Mahmut Aygun en aurait revendiqué la paternité il y a plusieurs années.

Il «existe depuis toujours»

La critique gastronomique libanaise Anita Helou, qui consacre son dernier billet aux kebab de chameau, fort appréciés au Qatar, s’étonne et précise que «ce sandwich rond existe depuis toujours au Moyen-Orient». L’attribution à Kadir Nurman du titre d’inventeur ne serait-elle pas plutôt une belle opération de marketing dans un pays où le döner kebab est devenue une vraie industrie?

En Turquie, les gourmets rappellent que le premier döner kebab à emporter ne date pas d’hier, mais d’il y a plusieurs siècles lorsque les Anatoliens de l’Empire ottoman ont inventé la fameuse crêpe connue sous le nom de «durum» (sur la côte égéenne, on utilisait des feuilles de vigne) pour la remplir de viande rôtie.

C’est dire combien les Turcs les plus puristes s’agacent de ce que le monde entier réduise le döner kebab à un sandwich dans le meilleur des cas à base de tomates, salade, oignons, sauce au yaourt et à l’ail dans un pain rond croustillant, au pire à un méli-mélo d’ingrédients multiples et variés dans une poche de pain spongieuse.

La recette du döner kebab maison

Difficile de prétendre cuisiner un vrai döner kebab si on ne possède pas la fameuse rôtissoire à broche verticale mais on peut toujours s’en rapprocher.

  • 1 kilo de viande de mouton (ou de veau ou des deux) découpée en fines lamelles.
  • Pour la marinade: jus de 2 oignons, 1 gousse d’ail, du jus de citron, 1 cuillère à café de thym[1], une pincée de piment, sel, poivre, une cuillère à soupe d’huile d'olive, une cuillère à soupe de lait.
  • Laisser mariner la viande toute la nuit.
  • Faire revenir les lanières à feu vif dans une poêle avec une tomate concassée.  
  • Prendre 500 g de yaourt à la grecque (qui ressemble davantage au yaourt utilisé en Turquie). Etaler le yaourt dans le pide (ou sur une crêpe de blé noir), mettre la viande et la tomate (ou dessus), éventuellement une feuille de salade et quelques tranches d’oignons. On peut ajouter un piment vert si on en trouve.
  • Mais plus on ajoute d’ingrédients supplémentaires (choux, etc) et de sauces (mayonnaise, ketchup, sauce blanche, etc) plus on s’éloigne de la recette originelle du döner kebab .
  • Et évidemment surtout pas de frites.

A.B.

[1] Les animaux sont souvent nourris au thym en Turquie, c’est pourquoi il est recommandé d’en mettre dans la marinade.

On trouve quelques recettes de vrais döner kebab maison dans Bereketli olsun, de Gonul Candas (2012), l'un des livres de cuisine turque les plus connus en Turquie. Il existe aussi en version anglaise: Turkish table (2009).

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