Culture

Le casse-tête du headbanging

A l'occasion de la sortie du film «Pop Redemption», à l'approche du démoniaque Hellfest, focus sur ce rituel très chevelu qui continue de déchaîner les métalleux.

Clisson, juin 2010. REUTERS / Stéphane Mahé
Clisson, juin 2010. REUTERS / Stéphane Mahé

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Parodié (de Wayne's World à Pop Redemption), condamné (par la médecine du sport), récupéré (par les groupes mainstream)... Et pourtant, malgré l'acharnement satirique et les attaques répétées, rien n'y a fait: le headbanging se porte comme un charme. Fascinante incantation prisée par les fidèles de la communauté metal, cette pratique caractérisée par une secousse chaotique du crâne a traversé les âges les plus velus du rock pour devenir un des gestes iconiques de la contre-culture.

Aujourd'hui, dans les fosses maléfiques d'Ozzy Osbourne ou de Gojira, du Hellfest Open Air de Clisson au Wacken Open Air en Allemagne, les jeunes, les vieux, les gros cracks ou les pires billes s'adonnent gaiement à leur rituel favori, dans un élan fraternel et une humeur bonne franquette: «Le headbanging ne se "ringardise" pas du tout, assure Alexxx de l'équipe de Hellfest. Ça reste la pratique la plus représentative de la culture métal et, à mon avis, ça n'est pas près de changer. C'est pas du tout une mode qui serait tombée en désuétude et serait snobée par les jeunes générations. Au contraire.»

Mais comment donc expliquer une telle longévité? Plusieurs pistes...

1. C'est une pratique pionnière du heavy metal

C'est au début des années 1970 que les premiers adeptes du «hard-rock» commencèrent à secouer leurs chevelures adipeuses avec une fougue vengeresse. Mais encore aujourd'hui, les discours s'opposent sur la genèse: quand certains affirment que le headbanging est né pendant la première tournée de Led Zeppelin en 1968, d'autres prétendent qu'il fut inventé par les fans d'AC/DC.

Quoi qu'il en soit, le headbanging est né avant le pogo, nous assure Alexxx (puisque le pogo aurait été lancé par les punks à la mi-temps des années 1970), ce qui fait de lui l'aîné des rituels liés au metal. Celui aussi que l'on décline volontiers sur l'ensemble des sous-genres musicaux (et Satan sait qu'ils sont nombreux: deathmetal, metalcore...). Une flexibilité dont ne peuvent s'enorgueillir des pratiques plus récentes comme le mosh pit (une déclinaison colérique du pogo), le circle pit (gigantesque cavalcade démoniaque dans une arène) ou le KDS (le «karaté dancing style», pour les vraiment pas contents), que l'on repère davantage en milieu hardcore.

Karaté Dancing Style: 

Circle pit:

2. Elle a ses figures cultes et ses idoles

La fortune du headbanging s'exprime par la grande variété stylistique apparue au cours de son histoire. Il faut distinguer le «up and down» (le hochement vertical de base) du «windmill» (un mouvement giratoire de la tête popularisé, entre autres, par Jason Newsted de Metallica), eux-même différents du «drunk style» cher à Kurt Kobain (secousses chaotiques volontairement désorientées), du «body bang» particulièrement prisé dans le metalcore (chez Jonathan Davis de Korn, par exemple) ou du «whiplash» (une forme plus énervée de up and down qui fit la popularité d'Angus Young d'AC/DC).

Mais cette typologie, que l'on retrouve de manière détaillée sur la page Wikipedia dédiée au headbanging, ne convainc guère un métalleux comme Alexxx:

«Ça, c'est vraiment d'la branlette. C'est pas une danse codifiée comme la tecktonik, c'est davantage un mode de vie. T'entendras jamais des métalleux discuter des différents styles de headbanging. Ils te diront juste qu'ils font ça avec leurs tripes et leurs couilles.»

Il n'empêche, le headbanging n'a pas la même puissance éruptive selon qu'il est servi par une adolescente poussive ou un dieu de la fosse. Ainsi a-t-il ses icônes et ses figures tutélaires au rang desquels Kerry King du groupe Slayer ou Blackie Lawless du groupe WASP.

«Une des grandes références reste aussi George Fisher, le chanteur de Cannibal Corpse, un des  pionniers du death metal, reprend Alexxx. C'est un mec qui doit peser dans les 120 kilos, avec des cheveux jusqu'aux fesses. Lui, il headbangue pendant tout le concert, du coup il a une toute petite tête par rapport à son énorme cou supermusclé. Dans le milieu, son sobriquet, c'est "corpsegrinder", littéralement "moulineur de cadavres".»

Un chouette mec, paraît-il:

3. L'expérience du sacré

Venons-en au fait: que diable cherche-t-on à exprimer en fouettant ainsi la foule de sa crinière enragée? Vu de l'extérieur, le but du jeu du headbanging semble bien d'en appeler à Soron pour anéantir la société capitaliste avant de proclamer le règne de la bière et du Mordor. Pour le sociologue Alexis Mombelet, qui se concentre, lui, sur la fonction liturgique du headbanging dans un article publié dans la revue Sociétés (n°88) consacré à l'analyse du concert de metal comme rite, le sujet est plus complexe.

Défini par le sociologue comme un surgissement de l'ubris, un «éclatement comportemental» procédant de la «catharsis aristotélicienne», le headbanging est, pour lui, partie prenante de cette «sacralité ludique» propre à la culture metal. A cette occasion, il cite le sociologue Roger Caillois qui s'attarde, dans Les jeux et les hommes, sur ces jeux «qui reposent sur la poursuite du vertige et qui consistent en une tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d’infliger à la conscience lucide une sorte de panique voluptueuse. (…) Il s’agit d’accéder à une sorte de spasme, de transe ou d’étourdissement qui anéantit la réalité avec une souveraine brusquerie». (Caillois, 1998, pp. 67-68).

Forme de transe contemporaine visant la confusion des corps et des esprits, le headbanging participerait donc à faire du concert de metal une expérience du sacré. 

4. C'est une prise de risque physique

Dans cette perspective, la prise de risque physique est inhérente au concert de metal, rappelle Alexis Mombelet. Quoique relativement inoffensif à côté des pratiques contemporaines plus bourrines comme le mosh pit, le headbanging trouble facilement son homme et réclame courage et témérité. En effet, au-delà de 146 battements de tête par minute, nous explique le site medecine-des-art.com, le métalleux risque d'atteindre les flammes de l'enfer. Des grandes figures du headbanging comme Jason Newsted de Metallica ou Mick Thompson de Slipknot en ont payé les frais (étourdissements, lésions aux cervicales).

Rappelons aussi, par méchanceté gratuite, le funeste épisode qui conduisit la chanteuse de Moloko Roisin Murphy à se manger une chaise en pleine face après une séance de headbanging aventureuse. Plus préoccupant, en 2005, des médecins avaient émis l’hypothèse que le headbanging avait pu jouer un rôle significatif dans la survenue d’un AVC chez Terry Balsam du groupe Evanescence. 

Rappelons-le donc: technique barbare pour tout novice ignorant des lois qui la régissent, le headbanging requiert en réalité une certaine technicité et quelques échauffements des cervicales. Nul ne doit donc négliger l'importance de l'ancrage au sol afin de conserver stabilité et puissance tellurique: bassin verrouillé, genoux souples, transverse maintenu, seul le mouvement chaotique de la tête doit exprimer votre désarroi métaphysique. Evidemment, la force plastique est décuplée avec le port de la crinière mais c'est autant de risques de rester noué à son voisin. 

Le mot de la fin à la marque Voltaren, n°1 dans le soin des douleurs musculaires...

Eve Beauvallet

 

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