Culture

De «Chapeau melon» à «Mad Men» et «Game of Thrones», des génériques en séries

Casse-tête pour les créateurs mais aubaine pour les graphistes, le générique de série a créé des catégories distinctes selon les genres et les époques. Recension critique, de «Chapeau Melon» à «Games of Thrones» et de «Lost» aux Envahisseurs».

Le générique de Mad Men s'inspire du travail graphique de Saul Bass. DR
Le générique de Mad Men s'inspire du travail graphique de Saul Bass. DR

Temps de lecture: 10 minutes

Si le générique au cinéma se doit de capter l’attention du spectateur, que dire de celui des séries qui doit éviter le zapping avant même le commencement du programme! Il doit être identifiable, normé selon les modalités de diffusion télé et pas trop lassant pour le public qui le visionne chaque semaine.

Casse-tête pour les créateurs, aubaine pour les graphistes et parfois réjouissance pour le téléspectateur, le générique de série a trouvé ses marques au fil des décennies, créant des catégories distinctes selon les genres (comédie, drame) et les publics (ménagère de moins de cinquante ans, adolescent, trentenaire…).

Comment quelques secondes d’images sont devenues cultes? Parfois plus que les séries elles-mêmes? Lesquels ont marqué nos imaginaires? Recension critique.

1. Le genre chic, chic, chic

Surfant sur la vague amorcée par le travail graphique de Saul Bass à la fin des années 1950 (L’Homme au bras d’or, Vertigo et La Mort aux trousses), les réalisateurs et producteurs de séries ont compris qu’un bon générique pouvait rimer avec large public. La télévision s’implantant durablement dans les foyers (principalement anglo-saxons), la demande de programmes de fiction augmente et de nombreuses séries voient le jour.

Mais pour faire la différence, divertir et rendre accro (le propos de la série), rien de tel qu’une identité visuelle bien trempée et à ce jeu-là, les Britanniques mettent la barre très haute dès 1961 avec Chapeau melon et bottes de cuir. Les aventures psychédéliques de John Steed et de ses jolies acolytes (Honor Blackman, Diana Rigg et Linda Thorson se partageant la vedette de la première série), la relecture du mythe de l’espionnage (James Bond n’est pas encore né sur grand écran), et le flegme british concourent au succès de la série mais le générique, sur une musique de Laurie Johnson devient une référence. Stylé, drôle, élégant, jouant avec le téléspectateur, il marque les prémisses d’une quête identitaire forte des génériques, jamais démentie depuis.

Quatre ans plus tard, l’espionnage est plus en vogue que jamais et les Américains en profitent pour tenter de reprendre la main en mettant à l’antenne Les Mystères de l’ouest. Entre le western, la SF et les séries d’espions Wild Wild West en VO fait le choix de l’audace. Des animations, un spilt-screen, des filtres de couleurs, autant dire une grosse innovation formelle qui se retrouve dans l’univers loufoque du programme.

Portée par la musique de Richard Markowitz (à qui l’on doit Les Envahisseurs et Hawaï Police d’état), la série marque son territoire et fait entrer les Etats-Unis dans la cour des génériques cultes.

Au début des années 1970, les Anglais cherchent un concept qui pourrait leur permettre de passer l’Atlantique. Dans Amicalement vôtre, Roger Moore et Tony Curtis se partagent le petit écran, tandis que le scénariste de Chapeau melon et bottes de cuir imagine les tribulations du couple anglo-américain (musique de John Barry).

Construisant son générique autour des différences entre les deux héros (New York et la vie dure pour le self made man, Londres et la vie de château pour l’aristo), Amicalement vôtre présente subtilement le passé des protagonistes, s’évitant ainsi de revenir dessus durant les épisodes. En jouant sur le parallèle et l’antagonisme des deux existences, le générique offre en préambule ce qui sera le sel de la série, l’opposition amicale de Brett et Dany, la vieille Angleterre colonisatrice et le puissant nouveau monde, sans pour autant oublier le glamour et le luxe qui fonde l’ADN du programme (les yachts, les belles voitures, les palaces de la Côte d’Azur…).

Le passage à vide des séries dans les années 1970/1980 se ressent aussi dans les génériques, qui ne servent la plupart du temps qu’à égrener les noms des acteurs et autres intervenants. Mais en 2007, le graphique chic fait son retour sur le petit écran grâce à Mad Men. Il faut dire que le quotidien de publicitaires new-yorkais à la fin des 50’s, fumeurs, buveurs et redoutablement doués est en adéquation totale avec l’esthétique des classiques de Bass et Binder.

D’ailleurs, le générique rend un hommage appuyé à leur stylisation impeccable. La chute d’un homme le long d’un building (La Mort aux trousses), des fragments de publicité vintage de-ci de-là, une silhouette ciselée au couteau (James Bond), l’élégance du trait et l’économie formelle de ce générique en ont fait un incontournable télévisuel. Si la forme fait écho aux anciens, le temps moderne lui a sacrément changé et le générique ne dure plus guère qu’une trentaine de secondes. Le visionnage de nombreux épisodes d’affilée (le téléchargement ayant modifié nos habitudes) et la peur du zapping peuvent expliquer ce raccourcissement.

2. Le genre minimalisme

Les gros moyens mis au service des génériques ne sont pas le gage absolu de la réussite. La simplicité, le dépouillement, voire le dénuement peuvent aussi donner le jour à des génériques marquants. Le générique des Soprano économise les effets. Alors que la série enquille les meurtres brutaux, les bastons et les magouilles en tout genre, rien ne transparaît de ce mec grassouillet qui conduit une bagnole sur un périph’. Et pour cause. Le choix scénaristique des Soprano tend à s’éloigner du traitement habituel du monde mafieux pour sonder le quotidien, les conflits familiaux et la dépression qui guette le héros. Sans fard et désarmante de réalisme banal, l’existence de Tony Soprano est à l’image du générique, anti-spectaculaire, offrant au public la possibilité d’une identification inédite à un membre de la mafia.

Plus c’est long, plus c’est bon n’a pas valeur de vérité dans le monde des génériques de séries. La preuve avec le coup de poing The Shield (2002). La série, qui suit à Los Angeles un groupe de flics pourris, coincés entre une administration incapable de leur donner les moyens d’agir et une violence exacerbée dans les rues des ghettos, se démarque par son ton brutal, sa morale sans concession ni échappatoire. Elle se devait d’avoir un générique à sa hauteur. Et en dix secondes, The Shield met tout le monde d’accord. La musique (Just another Day) bouscule les oreilles et vous fait chercher la télécommande pour baisser le volume. Visuellement aride, il préfigure parfaitement la crudité des situations à venir.

S’il existait un top des génériques les plus minimalistes, le gagnant se nommerait Lost. Là encore en dix secondes, tout est dit ou plutôt tout est à interpréter. Musique quasi-inexistante (un vague râlement plane sur le générique), visuel d’une sobriété monacale, seul le titre barre l’écran. Immédiatement, le spectateur, perdu lui aussi, est face à une énigme. Comment comprendre ce générique? A priori simpliste (sa conception technique n’a pas dû prendre bien longtemps), il symbolise parfaitement la narration labyrinthique de la série. Permettant au public d’imaginer ce qu’il veut (la toile noire), ce début a pour vocation de créer une atmosphère, de donner le la. Au spectateur d’inventer sa partition, de façonner sa propre série.

3. Le genre «Si vous avez raté le début»

Si certaines séries fonctionnent sur un générique mystère, minimaliste pour aiguillonner la curiosité des téléspectateurs, d'autres font des choix radicalement différents, annonçant la couleur dès le début. C'est le cas de Max la menace. En 1965, en plein boum des fictions d'espionnage, Mel Brooks décide de se lancer dans la création d'une série. Il invente un personnage d'agent secret mais le situe dans un univers comique.

Exacerbant les codes de Bond, il offre un générique tordant, constitué de passages secrets, de portes qui s'ouvrent sur d'autres portes, d'une cabine téléphonique magique (Dr Who s'en inspirera) et française s'il vous plaît! Faisant la nique aux séries sérieuses anglaises, Max la menace met en scène un espion en smoking mais maladroit, pas franchement taillé pour le job (il est petit et pas franchement bien bâti) et son parcours absurde dans des sous-sols déserts bourrés de portes automatisées donne d'emblée le ton, propre aux comédies de Mel Brooks.

Deux ans plus tard, c'est un autre genre cinématographique (la SF) qui prend possession du petit écran avec une série dont le générique pose, à chaque épisode, la genèse. Les Envahisseurs débute systématiquement par l'histoire de David Vincent. Tandis qu'il cherchait un raccourci (qu'il ne trouva jamais), il tombe sur une soucoupe volante.

Cette rencontre du troisième type, narrée par une voix-off masculine un poil flippante, sert de point de départ à la série. Le titre, qui apparaît par intermittence, comme via un stroboscope, souligne le caractère angoissant de la situation de Vincent, qui n'aura de cesse de faire comprendre à ses concitoyens qu'ils sont sous la menace imminente d'un débarquement alien majeur.

Particulièrement long (1 minute 20), le générique inaugure chaque épisode, rappelant à ceux qui ne connaissent pas la série les éléments indispensables à sa compréhension, et téléspectateurs convertis quel est l'état d'esprit paranoïaque et anxiogène du programme.

Niveau angoisse, l'année 2011 a marqué des points grâce à deux séries dont les génériques ne peuvent que marquer les esprits. Dans le genre horrifique (très inspiré du générique de Seven), American Horror Story, série de maison hantée, de fantômes et d'âmes perdues, s'offre un générique à la hauteur des attentes des aficionados du genre. De vieilles photos jaunies indiquent dès les premières secondes l'omniprésence du passé, des fœtus, des crânes et des instruments chirurgicaux cadrent l’ambiance malsaine (et interdite aux moins de 16 ans). Avec un montage saccadé et une musique stridente, pour mettre le téléspectateur en condition. American Horror Story est un condensé d'horreurs, catégorie très rare dans la fiction télévisuelle. Très esthétique, le générique exerce la fascination morbide intrinsèque au genre et constitue une excellente entrée en matière, ne laissant planer aucun doute quant au contenu de la série.

La même année, un autre générique fait une apparition fracassante. La série Homeland casse les codes habituels. Tout d'abord, le générique est long (1 minute 18) mais surtout, il est bavard. Constitué de bribes de discours (audio et vidéo) des présidents américains Reagan, Bush senior, Clinton et Obama (Bush Jr étant remplacé par l'allocution de Colin Powell aux Nations unies), il intercale des images de jazz band, des dialogues de la série, des mises en scène mystérieuses (Carrie le personnage central au centre d'un labyrinthe par exemple), le tout contemplé par une petite fille blonde, assise devant son poste de télévision (qu'on devine être la jeune Carrie).

Entre mise en abîme (la télé dans la télé) et ancrage dans l'histoire contemporaine, le générique fait se télescoper la fiction et la réalité, invitant à un zapping où les éléments narratifs du programme télé et les événements politiques américains récents font corps. La série plonge les téléspectateurs dans les arcanes du monde moderne et ses mécaniques tacites et complotistes. Ce générique est un coup de génie.

4. Le genre «en adaptation perpétuelle»

Mais les génériques ne sont pas des blocs esthétiques ou minimalistes figés. Dès 1966, les créateurs comprennent que faire évoluer un générique permet de surprendre le public afin de mieux le retenir devant son poste. Mission Impossible invente le générique individualisé, construit avec des images de l'épisode à suivre, comme un teaser. Sans grande originalité esthétique (si ce n'est la mèche qui rappelle le timing à respecter pour la lecture du message), ce choix est très avant-gardiste. Imposant les codes cinématographiques de la bande-annonce au format télé, Mission Impossible captive des millions de fidèles à chaque diffusion. Quant à son passage sur grand écran, il semble parfaitement normal tant la série a puisé dans les normes du septième art.

Mais la personnalisation des génériques télé ne s'arrête pas là et franchit avec Friends un palier important. Quand la série débarque sur les écrans en 1994, elle utilise déjà la pratique classique des soaps, à savoir inclure des séquences de la saison en cours dans le générique. On peut alors y apercevoir fugacement qui embrasse qui, comment tel ou tel sera habillé ou les blagues visuelles qui essaimeront l'année. Cette pratique crée l'attente mais permet aussi toutes les discussions entre fans, extrapolant à loisir sur une miette d'image.

Quand en 1999, Courtney Cox épouse David Arquette dans la vraie vie, à l'écran, chaque acteur du show voit son nom accolé à celui d'Arquette, comme la jeune mariée. N'oubliant pas que la série cherche à créer un lien de proximité, presque d'intimité entre le public et les héros, cette idée, sans doute partie d'une blague entre les comédiens, intronise le mix vie privée/vie publique qui irrigue la société du spectacle. L'apparition ultérieure de Brad Pitt lors d'un épisode (alors qu'il sort avec Jennifer Aniston) répondra aux mêmes codes.

Dans la quête de diversification que subit le générique, il est un cas singulier, celui des Experts. D'abord situé à Las Vegas (2000), le programme fait des petits et développe une franchise, à Miami (2002) puis à Manhattan (2004). Même pitch, mêmes personnages archétypaux, évidemment même générique. Le tryptique n'est guère révolutionnaire mais il est amusant de voir se décliner une même idée sur trois génériques a priori distincts: la présentation des acteurs à l'écran (une façon de faire particulièrement datée), des effets spéciaux à tire-larigot, la même musique rock (toujours les Who) et des plans de la ville, très clichés (le strip de nuit à Vegas, les marais de Miami ou un plan aérien de central Park). CSI ne brille pas par son audace visuelle, mais pire que ça, le générique de la série use de méthodes antédiluviennes pour présenter son casting. Que le producteur Jerry Bruckheimer se le dise, parfois ce n'est pas dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes.

Un peu d'autodérision ne fait pas de mal, et le générique demeure le moment idéal pour faire preuve d'un peu de mauvais esprit. La série Dexter, dont le générique ne varie pas depuis sept saisons, a ainsi fait une entorse à son orthodoxie visuelle (au demeurant très réussie) lors d'un épisode. Alors que le pauvre Dexter gère son travail et son addiction meurtrière, un planning déjà bien chargé, voilà qu'il devient père, avec son lot de nuits blanches.

Ni une, ni deux, voilà que le générique prend en charge cette nouvelle donne, en proposant une version revue et corrigée. Le moustique tente une attaque, Dexter le loupe. Le personnage enfile son tee-shirt blanc immaculé, dommage, il est immédiatement tâché. Son lacet de chaussure lui claque entre les doigts, etc...

Clin d'œil destiné aux habitués de la série (ceux qui tomberont par hasard sur ce générique, ne saisiront pas le glissement humoristique), ce petit exercice bien fendard montre surtout à quel point le générique marque l'instant de la reconnaissance (par l'image ou la musique), ce petit moment où un élément familier refait son apparition dans le giron domestique.

Imaginé par Angus Wall, créateur attitré d’HBO avec à son actif Rome ou Carnival, le générique de Game of Thrones monte d’un cran cette volonté d’adaptation. Alors que jusque là, on pouvait parfois avoir quelques génériques modifiés, la série propose plusieurs versions d’ouvertures dans une même saison.

Débutant par un plan récurrent d’astrolabe gravé des événements guerriers majeurs de cet univers, le corps du générique invite au survol d’une carte en trois dimensions, présentant Westeros, le continent du royaume des Sept couronnes et Essos, l’autre continent plus à l’est. Animé par un mécanisme en mouvement (symbolisant les rouages du destin des personnages et les diverses machinations à l’œuvre), chaque territoire possède une identité visuelle forte.

Rappelant les cartes de Tolkien (les univers de Fantasy offrant toujours une géographie fictive, ils nécessitent une cartographie précise), le monde de Game of Thrones est ainsi présenté à chaque épisode. Mais, selon les épisodes, certaines zones apparaissent ou disparaissent du générique, pour mieux indiquer aux téléspectateurs sur quel royaume va porter l’essentiel de la narration à suivre.

Cette modulation constante du générique, cas unique dans les séries contemporaines, et la composition musicale impeccable de Ramin Djawadi, parviennent à propulser chaque semaine le public dans ce monde a priori inconnu mais au final rapidement familier.

Ursula Michel

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