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Ils ont filmé la fin du monde: S'il n'en reste qu'un [5/7]

En 1954, paraît «Je Suis une légende« de Richard Matheson, un roman qui va profondément marquer l'imaginaire SF en littérature, mais aussi dans le cinéma.

«Je suis une légende» © Warner Bros. France
«Je suis une légende» © Warner Bros. France

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Dès ses balbutiements, le cinéma s’est intéressé au spectacle de la destruction à grande échelle. Au fil des décennies, la thématique s’est complexifiée. De la démolition matérielle tombée du ciel (la vengeance divine), on est passé à la pandémie (l’homme autodestructeur engendre sa propre fin), puis le septième art a imaginé le monde d’après, au choix, un univers post apocalyptique barbare, une nouvelle civilisation dominante non humaine ou un désert absolu excepté un unique survivant. Certains films ont même montré l’impossible, l’impensable: la fin de la Terre, sa disparition totale et définitive. Un des scénarii récurrents d’Hollywood se penche sur la possibilité que la fin du monde n’ait pas laminé toute la planète et que quelques, voire un seul, aient survécu. Que faire quand on est seul au monde ou presque?

En 1954, paraît Je Suis une légende de Richard Matheson, un roman qui va profondément marquer l’imaginaire SF en littérature. Fort de ses trois adaptations cinématographiques, le récit de Matheson s’ancre aussi dans l’histoire du cinéma. Il est porté pour la première fois à l’écran par Ubaldo Ragona et Sidney Salkow sous le titre Le Dernier Homme sur Terre. Mettant en scène Vincent Price (l’acteur estampillé horreur et épouvante à Hollywood), le film est une relecture assez fidèle du roman. Un médecin, dernier représentant de sa race, cherche l’antidote à un terrible virus qui a éradiqué la majorité de l’humanité et transformé les survivants en vampires.

Comme souvent dans ce type de films, le héros n’est pas véritablement seul. Pour des raisons dramaturgiques (comment alimenter un long-métrage porté par un seul acteur) et économiques (la peur des studios de produire un film trop «conceptuel»), il est épaulé dès le début par des ennemis non humains, donc non comptabilisés (ce qui permet de vendre le film comme un «last man on earth movie» sans mentir), puis tombe sur un congénère survivant comme lui.

Pour créer une interaction, voire une attraction plus forte (et non un conflit viriliste), le nouveau personnage se doit d’être une femme. Ce canevas est le squelette scénaristique choisi pour les trois versions du roman, en 1964, 1970 et 2007. Il est vrai que ce postulat était posé par Matheson, mais de nombreuses libertés ayant été prises dans ces adaptations, on aurait pu imaginer des modifications quant aux relations entretenues par les personnages. Que nenni donc.

Et dans le genre poussif du héros solitaire tombant nez à nez avec une femelle survivante, The Omega Man de Boris Sagal (Survivant en VF) décroche le pompon! Année 1970 oblige, l’héroïne est une actrice type Blaxploitation. Coupe afro, vêtements très sexy (et nudité dès que le scénario le permet, c’est-à-dire souvent), le film parviendrait presque à faire oublier son versant post apocalyptique.

Et pourtant il commence bien cet Omega Man. Charlton Heston seul au volant de sa voiture parcourant des rues désertes de Los Angeles offre des séquences qui manquaient un peu à l’opus de Ragona et Salkow (sans doute pour des questions techniques et financières).

La folie du dernier représentant de son espèce est même l’occasion d’une belle scène. Alors que les téléphones publics se mettent à sonner partout dans la ville, Heston se rue sur l’un d’eux pour décrocher, réflexe pavlovien moderne, mais se maudit d’y avoir cru. Produit de son imagination, ces sonneries sont seulement l’écho lointain d’un monde disparu. Cette mise à jour du roman de Matheson plonge le personnage dans une mégapole qui n’a plus de raison d’être. Cette vision urbaine fera le sel de la troisième adaptation de Je suis une légende (et dernière à ce jour).

Alors que les précédents films avaient, par leur titre, tenté de se distinguer du célèbre roman de SF, Francis Lawrence joue à fond l’hommage appuyé. Dans Je suis une légende (2007), Will Smith campe le docteur Robert Neville, seul survivant d’une pandémie mondiale. Son chemin va croiser (évidemment) celui d’une jeune femme et de son fils, réactivant la cellule familiale détruite de Neville que l’on devine à coups de flash-backs.

Grâce à un clin d’œil à The Omega Man (la scène où Charlton Heston visionne pour la énième fois Woodstock répondant à celle où Will Smith se repasse inlassablement Shrek), le film de Lawrence s’inscrit parfaitement dans la lignée de son prédécesseur. Comme pour The Omega Man, mais en plus abouti, la force du film réside principalement dans les plans de la ville (New York cette fois), vidé de ses habitants.

Time Square recouvert par la jungle, les animaux sauvages ont repris le contrôle de la ville... Autant de visions post apocalyptiques mémorables qui font de Je suis une légende, du moins dans sa première partie, un vrai film de survivant.


Je suis une légende Bande Annonce vostfr par Nyxem

Le vivier SF que représente la Quatrième dimension ne pouvait pas faire l’économie d’un épisode «seul au monde». C’est chose faite en 1961 dans The Mind and the Matter (L’Esprit et la matière). Le personnage, Archibald Beechcroft, est un fieffé misanthrope.

Convaincu qu’il peut agir sur son environnement par la seule force de sa pensée, il décide de faire disparaître l’humanité pour enfin ne plus être bousculé dans le métro ou écrabouillé dans l’ascenseur qui le mène à son travail.

Evidemment, la disparition de ses semblables rend caduque son quotidien. Une autre idée germe alors dans son esprit: repeupler la Terre d’êtres à son image.

L’épisode se découpe donc en deux parties, pas apocalyptiques au sens de mise à sac du monde, mais usant des ressorts visuels propres au genre. Alors que la ville est naturellement associée à la foule, aux embouteillages, aux vicissitudes de vivre en société, le héros engendre sa propre fin du monde, mettant en scène le silence après le brouhaha, le vide après le trop-plein urbain. Rare exemple d’une apocalypse désirée, The Mind and the Matter reprend à son compte le motif du survivant mais en en livrant une version très personnelle et cynique.

Dans Le Monde, la chair et le diable, de Ranald MacDouglass, réalisé en 1959, Ralph Burton (Harry Belafonte) se retrouve coincé dans une mine après une explosion. Lorsqu’il refait surface, la race humaine n’est plus qu’un souvenir. Désœuvré, il commence à perdre la raison. Mais au détour d’une rue, il tombe sur l’autre rescapée de la catastrophe, Sarah. Commence alors un jeu de séduction entre les deux personnages.

Mais ce qui les rapproche (être des survivants) est moins puissant que ce qui les sépare (il est noir, elle blanche). Tandis qu’un troisième larron fait son apparition (un homme blanc), la vie idyllique qu’ils s’étaient construits part en lambeaux. La jalousie et le racisme vont bientôt conduire les deux hommes à un face à face mortel.

Ce film post apo, qui par ses séquences dans un New York désolé instaurent les codes visuels des films suivants (rues désertes, myriade de voitures abandonnées, silence pesant...),  est une variation sur la folie nucléaire, matrice des films catastrophe de l’époque, et tourne vite en drame passionnel mâtiné d’une diatribe contre le racisme et la force autodestructrice latente de l’homme.

Malgré leur volonté affichée de réaliser des films narrant la vie du dernier homme sur Terre, les réalisateurs ont souvent obligation d’incorporer quelques protagonistes supplémentaires à leur casting. Autant assumer dès le début, comme Five dont le titre français, Cinq Survivants, ne permet aucun malentendu.

Après une catastrophe nucléaire mondiale, seules cinq personnes ont survécu. Quatre hommes et une femme, enceinte de surcroît. Ce pentagramme humain ne propose que peu d’alternatives à la survie de la race: ceux qui prônent un retour à la terre et une vie de labeur, et les autres enclins à piller et à user de violence pour survivre.

Si le film de Arch Oboler ne brille pas par sa subtilité (un dualisme bien basique), il a pour lui d’être sans doute le premier à avoir réfléchi à l’hypothèse de la fin du monde et surtout de ce qu’il pourrait advenir d’une poignée de survivants. Réalisé en 1951, Five pose les jalons pour les films à venir, au premier rang desquels Le Monde, la chair et le diable, sorti en 1959.

Pour avoir une chance d’échapper au jugement dernier, quitte à être le dernier être vivant sur Terre, mieux vaut être un homme (très peu de films imaginent un monde où il ne resterait qu’une femme), entre 30 et 50 ans (la dictature du jeunisme ayant gagné du terrain au cours des décennies, on est passé de Vincent Price 53 ans au compteur lors du tournage, à Charlton Heston 48 ans, puis Will Smith 39 ans), vivre en milieu urbain (étrangement les ruraux ne survivent pas beaucoup sur grand écran, exception faite de Malevil, film post apocalyptique français avec Michel Serrault et Jacques Villeret!) et être hétéro (les fameuses scènes de séduction entre le survivant et la femme qui croise son chemin).

Portrait-robot consensuel et stéréotypé du mâle dominant occidental, le survivant n’est peut-être pas le meilleur témoignage de ce que fut l’humanité. Mais quand l’apocalypse épargne plus de monde, le constat n’est pas franchement plus folichon!

Ursula Michel

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