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Ils ont filmé la fin du monde: Pandémie Story [1/7]

Plus létal qu’une bombe, plus dévastateur qu’un tsunami, le virus mortel possède tous les atouts d’une apocalypse réussie.

Cuba Gooding Jr., Dustin Hoffman, Kevin Spacey, Wolfgang Petersen Dans «Alerte» © Warner Bros.
Cuba Gooding Jr., Dustin Hoffman, Kevin Spacey, Wolfgang Petersen Dans «Alerte» © Warner Bros.

Temps de lecture: 6 minutes

Dès ses balbutiements, le cinématographe s’est intéressé au spectacle de la destruction à grande échelle. Au fil des décennies, la thématique s’est complexifiée. De la démolition matérielle tombée du ciel (la vengeance divine), on est passé à la pandémie (l’homme autodestructeur engendre sa propre fin), puis au monde d’après (univers post apocalyptique barbare, une nouvelle civilisation dominante non humaine ou un désert absolu excepté un unique survivant). Certains films ont même mis en scène la fin de la Terre, sa disparition totale et définitive. Voici donc le premier volet de notre sélection non exhaustive du cinéma de l’apocalypse.

Plus létal qu’une bombe, plus dévastateur qu’un tsunami, le virus mortel possède tous les atouts d’une apocalypse réussie. Ennemi indiscernable et hautement transmissible, il se rit des mises en quarantaine. On n’arrive déjà pas à contrôler les flux financiers, alors un potentiel virus! De là, est né un genre de films, surfant sur la paranoïa microbienne et depuis peu sur la notion d’attentat bactériologique.

On est pourtant quelque peu étonné de la rareté des films mettant en scène une épidémie en cours (et non le no man’s land qui suit). Un des premiers films à prendre vraiment à bras le corps le potentiel apocalyptique d’un virus mortel lâché dans la nature date de 1995.

Dans Alerte, Wolfgang Petersen suit la progression d’une bactérie type ébola dans une petite bourgade américaine. L’échelle géographique choisie ne permet pas de classer le film dans la catégorie «fin du monde», mais Alerte pose tout de même les bases de ce que pourrait produire sur grand écran la dispersion d’une maladie contagieuse et mortelle.

Alors que l’identification du public demeure difficile lorsqu’il s’agit de catastrophes naturelles (un Parisien ne se sentira pas concerné par un tsunami, un Breton par une éruption volcanique, etc.) elle fonctionne à plein régime dans les films épidémiques. Fortement anxiogène, le virus uniformise les différences sociales, géographiques, raciales et affirme ainsi l’incapacité humaine à le contrôler. Un must pour effrayer les foules.


Alerte ! - Bande annonce VO par _Caprice_

Plus de quinze ans de mondialisation et de technologies plus tard, Contagion de Steven Soderbergh (2011) synthétise les enjeux déjà en germe dans Alerte (contamination incontrôlable, mise en quarantaine inutiles, personnages principaux en danger...) et internationalise son film (ce qui faisait cruellement défaut à Alerte) pour le transformer en film apocalyptique.

Asie, Europe, Amérique, la mort se répand partout à une vitesse telle que la survie de l’espèce humaine est menacée. Impossible de ne pas se sentir concerné par ce qui demeure un scénario plausible.

Ce réalisme intrinsèque de la maladie se double d’une longue liste de pandémies ayant déjà éradiqué des millions de personnes, à une époque où les populations ne se déplaçaient pas autant qu’aujourd’hui (à titre d’exemple, la peste noire aurait éradiqué 40% de la population européenne entre 1347 et 1352, même si la grippe espagnole de 1918 fait 20 millions de morts, notamment en Europe et aux Etats-Unis d’où est parti le virus). Le cinéma nous permet alors de nous faire peur en évoquant une éventualité parfaitement crédible.


Contagion - Official Trailer [VOST-HD] par Eklecty-City

Le cinéma français, peu prodigue en matière de films apocalyptiques, propose tout de même en 2007 une adaptation du roman Pars vite et reviens tard de Fred Vargas. Paris y est en proie à une épidémie de peste (la romancière est une spécialiste de l’histoire de la maladie). Peu convaincant, le film offre cependant un contexte contemporain à une maladie d’un autre âge, rappelant au passage qu’un virus en sommeil ne rime pas forcément avec un virus disparu.

Le septième art n’a pas le monopole de la pandémie. La troisième saison de la série 24 utilise ainsi le motif de la contamination virale pour doper les nouvelles aventures de son héros Jack Bauer, mais en y ajoutant l’acte terroriste.

Depuis le 11-Septembre, on sait qu’une bombe n’est plus indispensable pour faire régner trembler le monde. De là, il n’y a qu’un pas pour envisager le virus comme une arme de destruction massive. L’attentat bactériologique, encore peu utilisé comme ressort scénaristique au cinéma (il est vaguement évoqué dans V pour Vendetta), pourrait donc se révéler le nouvel eldorado du film de fin du monde, alliant les deux grandes inquiétudes modernes: le terrorisme de masse et la pandémie.

L’une des caractéristiques du virus réside dans son apparition spontanée et la difficulté voire l’impossibilité de déterminer son origine. Il n’en faut pas plus aux scénaristes pour laisser leur imagination vaquer et inventer la trouvaille du début du XXIe siècle.

En 1968, George A. Romero ré-invente un personnage devenu incontournable du film de genre avec La Nuit des morts-vivants. Figure métaphorique d’un monde autodestructeur, le zombie incarne chez Romero la culpabilité face au Viêt Nam, la critique du consumérisme, la contestation politique de l’ère Reagan, bref, il agit comme un miroir tendu au spectateur qui peut y lire les tares de sa société. Les morts qui n’auraient plus de place en enfer et viendraient hanter les vivants, voilà une bien belle fin pour l’humanité.

Mais au tournant de l’an 2000, Danny Boyle avec 28 Jours plus tard propose une relecture très contemporaine de la mythologie zombie et fait passer le mort-vivant du film d’horreur au film d’apocalypse. Imaginant une raison médicale réaliste à la zombification, en l’état un virus, Boyle transfigure le personnage et lui offre une résonnance pandémique, alors qu’il n’était jusqu’alors qu’un épiphénomène.

La symbiose de la viralité et du zombie crée les conditions d’une nouvelle apocalypse. Vision biblique (la résurrection), mâtinée de la peur panique de la contagion microbienne, la proposition du réalisateur réactive le spectacle de l’éradication humaine, non pas physique mais morale.

La fin du monde peut donc se conjuguer avec la persistance de l’homme sur Terre, mais sous une forme inédite, brutale et primitive.


2002 - 28 jours plus tard - Danny Boyle par Altanisetta

Fort de ce renouveau, de nombreux métrages vont alors voir le jour comme Resident Evil de Paul WS Anderson (le jeu vidéo proposait déjà ce scénario). Une firme laisse s’échapper un virus qui transforme les inhalateurs en zombies.

Resident Evil parle d’apocalypse sans véritablement la montrer, le film se déroulant en vase clos, sous terre. Ce hors-champ délibéré suscite l’attente du public et lui laisse la possibilité de se faire ses propres images apocalyptiques, sans doute plus terrifiantes que celles proposées dans les dernières minutes du film.

Finalement anti-spectaculaire, alors même qu’on attend de la fin du monde qu’elle soit un véritable feu d’artifice, Resident Evil joue sur l’inconscient collectif baigné de l’iconographie apocalyptique pour faire le boulot.

Autre époque, même zombie malade dans le remake de Romero L’Armée des morts par Zack Snyder (2004). Et côté vision apocalyptique, le pré-générique est un petit bijou. Car au-delà des scènes d’explosions et de massacres, la fin du monde est avant tout la fin de notre humanité. Et quoi de mieux qu’un enfant innocent métamorphosé en bête assoiffée de sang pour entériner notre annihilation. La débâcle de notre civilisation atteint son acmé non dans sa disparition mais dans sa mutation monstrueuse. Peut-être le pire qu’on peut attendre du 21 décembre.


Dawn of the Dead opening titles par mactiste

Creusant ce sillon allégorique d’une disparition de notre société plutôt que de ses constituants, les années 2000 ont proposé des scénarii plus inventifs et terrifiants les uns que les autres. Ces visions apocalyptiques, délaissant les codes classiques, ont revigoré le genre, poétiquement et politiquement.

L’un des premiers films à s’aventurer vers une apocalypse singulière se nomme Les Fils de l’homme (2006). Le réalisateur Alfonso Cuaron y dépeint un monde à l’agonie, victime d’une maladie inconnue et incurable qui a rendu toutes les femmes stériles. Dès lors, l’humain le plus jeune, âgé de 18 ans, sert de curseur pour anticiper la fin de l’humanité.

Peu d’effets spectaculaires, un budget loin de celui de Contagion, et pourtant Les Fils de l’homme invite à une apocalypse lente mais implacable. Le trop-plein des productions américaines type Bay et Emmerich explique en partie ce retour à une économie de moyen au bénéfice d’une symbolique très forte, mais l’idée d’une civilisation en danger à travers un manquement purement physique (la stérilité) sous-tend une autre tendance contemporaine.

Après l’implication invisible mais sensible du divin dans les films apocalyptiques des années 1990 et début 2000, on assiste à un recentrage sur l’homme, seul face à son destin. La catastrophe ne tombe plus du ciel mais surgit du plus profond du corps, des entrailles même. La fin du monde serait donc de notre responsabilité, et non plus un châtiment extérieur, elle pourrait même signifier, comme Nietzsche l’avait écrit, que «Dieu est mort». Du moins au cinéma.

Dans cette veine, Blindness (2008), adaptation de l’écrivain nobélisé José Saramago, propose lui aussi un effondrement physique conduisant au dérèglement de notre monde. La cécité qui frappe les personnages de Fernando Meirelles provoque un cataclysme social, économique et politique qui fait chavirer les hommes vers l’apocalypse.

S’éloignant d’un traitement scientifique (comme c‘était le cas pour Alerte ou Contagion), Blindness ne propose pas d’explication (la solution ne sera pas plus explicitée) mais offre le spectacle d’une civilisation, qui se croit surpuissante mais en oublie ses propres limites, humaines.

Ce rappel à l’ordre sonne comme un avertissement à l’homme, ce colosse aux pieds d’argile, dont la survie dépend de l’environnement naturel mais aussi et surtout de sa propre fragilité physique, angle rarement abordé dans les films apocalyptiques.


Blindness - Bande-annonce (vost) par baryla

A quelques mois de la fin du monde, est sorti sur les écrans un étrange métrage intitulé Perfect Sense. Poussant encore un peu plus loin les partis pris symboliques d’Alfonso Cuaron et Fernando Meirelles, David MacKenzie invente un virus improbable qui attaque successivement tous les sens, laissant l’humanité dans le silence, sans goût ni odorat et aveugle.

Encore une fois, notre fin ne rime pas avec la destruction de notre environnement mais avec notre propre transformation, supprimant ce qui nous constitue. L’approche de la date fatidique du 21 décembre semble inspirer aux cinéastes une autodestruction purement charnelle, s’éloignant ainsi des habituelles mises en scène explosives et cataclysmiques.

Une apocalypse très égotiste finalement où nous serions les seuls à quitter l’écran.


LA B-A DU JOUR : Perfect Sense VOST | HQ par mainstream-club

Ursula Michel

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