Culture

Fantômette, c’était moi

Disparu le 13 octobre à l'âge de 81 ans, Georges Chaulet était l'un des piliers de la collection pour enfants de la Bibliothèque Rose. Il avait créé Fantômette en 1961 et avait vendu 15 millions d'exemplaires des aventures de la justicière masquée.

©Hachette/ Bibliothèque Rose
©Hachette/ Bibliothèque Rose

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Je me souviens assez bien de mes lectures des années 1990. C’étaient les premières que je faisais seule. J’avais commencé par Poly Superstar, et puis j’avais étoffé. Beaucoup d’histoires de chevaux: Le Cheval qui sourit, Crin blanc, Mon ami Flicka, Le Fils de Flicka.

Ou des histoires de bandes de copains et de classes vertes menées par de valeureux garçons: Extraterrestre appelle CM1, Opération caleçon au CE2, Superman contre CE2. Ou des histoires de filles: Les Petites filles modèles, Heidi jeune fille. Elles portaient des jupes à dentelle et jouaient à la dînette. Moi aussi.

Fantômette et les garçons

Et puis j’ai rencontré Fantômette. C’était presque comme rencontrer une Simone de Beauvoir pour enfants. A 12 ans, Fantômette, sans le moindre superpouvoir, jonglait entre l’école et la lutte contre les méchants. Elle était aussi forte que les garçons et ce n’était pas rien.


©Hachette/ Bibliothèque Rose

Les petites filles modèles manquaient de coolitude. Même à 8 ans, on se rend bien compte que s’appeler Madeleine de Fleurville, ce n’est plus hype depuis 1848 et que considérer la gourmandise comme un défaut, c’est bon pour l’ère pré-McDonalds. Quant à Heidi, elle passait son temps à faire la vaisselle et à cueillir des fleurs.

Un modèle crédible

Fantômette avait tout bon. C’était une super-héroïne, mais à laquelle on pouvait vraiment s'identifier. Je veux dire, Catwoman n’est pas si gentille que ça, et puis pour devenir elle, il faut avoir été en centre de détention juvénile à 13 ans: je sentais bien que ce n’était pas mon destin. Wonder Woman possédait différents pouvoirs surnaturels et je voyais bien que ce n’était pas mon cas. Et ses seins étaient trop gros pour qu'elle puisse me servir de modèle.

Fantômette, c’était moi. Elle allait à l’école, elle était bonne élève, elle adorait lire. Son vrai nom, Françoise Dupont, était encore plus français que le mien (OK, le mien n’est pas français –mais le sien était plus prosaïque que Selina Kyle). Son costume était faisable (et combien de fois fût-il fait). Ses histoires pouvaient être rejouées à l’infini, à condition d’avoir des amies dociles, à qui l’on pouvait imposer qu'elles ne soient jamais Fantômette, mais toujours, sempiternellement Boulotte ou Ficelle, les deux meilleures amies.

Et Fantômette était libre. Elle était exactement ce dont vous rêvez quand vous avez 8 ans et que vous voudriez bien en avoir un peu plus: elle n’avait pas de parents pour l’enquiquiner, jamais. Et elle avait du panache, cette qualité qu’Edmond Rostand décrivait comme «quelque chose qui s'ajoute à la grandeur, et qui bouge au-dessus d'elle». Quelque chose qui était jusque-là si masculin dans mes livres.

George Chaulet, son défunt papa (il est mort le 13 octobre 2012 mais son éditeur, Hachette, ne l'a annoncé que le 22), ne nous prenait pas pour des quiches, comme dirait Causette. Il se gondolait bien, avec ses jeux de mots (Arbi Stouri était chirurgien, le village breton de Fantômette et le Palais sous la Mer se nommait Kardebeur) A l’époque, nous aussi. Mais il faisait aussi réfléchir les lecteurs, les lectrices, menant l’enquête au côté de Françoise, et détenant les mêmes informations qu’elle au même moment, pouvant ainsi faire fonctionner les petits boulons en développement dans nos cerveaux.

Ce qui n’allait vraiment pas, c’était la couleur jaune de la tunique. Je n’en avais pas. Ma mère n’avait pas l’intention de m’en acheter. Mais je pouvais toujours rêver d’en avoir. Une tunique jaune, c’était bien plus accessible que les seins de Wonder Woman ou le centre de détention juvénile de Catwoman.

Charlotte Pudlowski

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