Temps de lecture: 5 minutes
Le jour où Anthony Bourdain est mort, j’étais en train de déjeuner dans un restaurant qui s’appelle Chez Marius, rue Chabrol, à Paris. C’est un lieu que j’aime beaucoup, entre autre parce que c’est un restaurant qui a deux chefs et aucun commis. Les deux chefs sont aussi un couple dans la vie, et des amis à moi. C’est donc là et avec eux, que j’ai d’abord fait le deuil de mon maître (avant de le faire ici avec vous).
Or, le vendredi suivant, je suis retourné déjeuner Chez Marius.
Je suis rentré; ils m’ont vu; ils sont venus vers moi.
«Tiens, il y a Melilli! Qui est mort aujourd’hui?»
À LIRE AUSSI Recette d'aubergines farcies à l'italienne
Technique et je-m’en foutisme
Dimitri Gris est le chef senior (et d’ailleurs associé du restaurant avec Yannick Aubree). Il a 43 ans et vient d’une ville ombrageuse au nord de la région de Venise; il a longtemps travaillé à Venise d’ailleurs: c’est un capitaine de long cours, qui a tenu toute sorte de barre, qui a trouvé des îles au trésor mais a aussi fait quelque naufrages, qui a participé à quelques mutineries légendaires et qui en a sans doute subies quelques-unes, peut-être banales. Je partage avec lui une conception assez piratesque de la cuisine, et une forte tendance à farcir ce que je cuisine avec des histoires assez longues.
L’autre chef s’appelle Huyen Tran Thi Thu. Je ne saurais pas la décrire autrement: c’est une jeune Vietnamienne romaine. Elle a 23 ans, elle est né au Vietnam d’une mère de là-bas et d’un père romain. Elle a grandi à Rome et elle a vite entamé une carrière en cuisine beaucoup plus officielle que celle de son copain (le dernier restaurant où elle a travaillé c’est le Caffè Stern, ici à Paris). Avec elle, en plus d’un certain déracinement structurel, je partage sans doute une inavouable passion pour la musique trap romaine contemporaine. Avec les deux, je partage une affection particulière pour le bandana sur la tête.
Dimitri amène un côté mijoté, parfois très mijoté, cuisinant des choses avec des noms insaisissables qu’il est fort probablement le seul à connaître. Et pendant que Huyen essaie de glisser de la fraîcheur, de la rigueur et bien sûr des saveurs exotiques, Dimitri vient d’une tradition très italienne qui n’existe plus, où peut-être plus encore.
L’Italie n’est pas un pays pour sauces, c’est un pays pour jus. Et il y a une grande différence: la sauce, c’est une chose qu’on fait, alors que le jus est une chose qui arrive, qui a lieu. C’est quelque chose qu’on récupère de la cuisson d’une autre. Si la sauce demande des doses précises et de la technique, le jus (ou sugo, ou sughetto, o intingolo, o tòcio) c’est un agréable effet collatéral. La technique de Huyen se fond donc avec le je-m’en foutisme de Dimitri, et ça marche.
Je leur ai demandé de faire avec moi deux recettes avec de la tomate, en toute liberté. Chacun en a choisi une de sa région, Dimitri un du nord de la Vénétie, Huyen un grand classique confidentiel dominical des familles romaines. Je me suis rendu compte les deux recettes avaient un rapport très spécial avec les féculents et la tomate, et ses jus.
À LIRE AUSSI Et si l'on troquait les tomates pour des pêches?
Tomates farcies à la romaine
Le riz prend un goût de tomate, et les pommes de terre absorbent l’eau de végétation qui dégorge pendant la cuisson: du coup, elles évitent que le tout trempe dans du liquide, et en même temps elles en absorbent elles aussi le goût. Huyen rajoute un voile de parmesan rapé avant de remettre les chapeaux sur les tomates: ça leur donne un petit boost un plus, mais sentez vous libres de garder la recette accidentellement vegan. Pour 4 personnes, en plat.
8 tomates cœur de bœuf de moyenne taille, ou 4 grandes
140g de riz blanc rond de qualité (genre carnaroli ou vialone nano)
300g de pommes grenailles, coupées en 4 dans le sens de la longueur
4 cuillères à soupe d’huile d’olive
10 feuilles de basilic frais
1/2 gousse d’ail
2 cuillères à soupe d’origan séché
2 cuillères à soupe de parmesan rapé
2 cuillères à café de sel complet
Poivre du moulin
Coupez le chapeau de chaque tomate, en gardant la tige. Essayez de posez les tomates et les chapeaux en ordre sur une planche, pour pouvoir vous rappeler ensuite de quelle tomate va avec quel béret. Avec un petit couteau d’office ou une cuillère à soupe, videz chaque tomate de sa chair, en gardant toute la chair dans un bol. Disposez toutes les tomates dans un bac à four, en glissant les quartiers de pommes de terre dans les interstices. Mixez ensuite la chair des tomates avec l’origan, l’ail, une cuillère à café de sel, le basilic et une cuillère d’huile. Faites ensuite revenir le riz dans une grande casserole avec une autre cuillère d’huile pendant 3 minutes, en remuant tout le temps (comme pour faire un risotto). Entretemps, faites chauffer le four à 180°. Ensuite versez la chair tomate mixée, et continuez à cuire pendant 5 minutes, jusqu’à que ça épaississe un peu. Avec une cuillère ou une petite louche, remplissez chaque tomate de riz jusqu’aux deux tiers. Parsemez de parmesan, remettez les chapeaux, poivrez et parsemez avec le reste du sel et le reste de l’huile. Enfournez pendant 30 minutes, où jusqu’à quand les pommes de terres sont dorées. Laissez reposer 10 minutes hors du four et servez.
Tòcio de tomates et zeppole frites
Les zeppole sont des petites boules de pâte salée frites, qu’on mange avec de la charcuterie ou que, dans ce cas, on trempe dans ce jus de tomate. Il faut l’imaginer comme une fondue végétale. Il y deux fois la pâte qu’il faut pour cette recette, mais vous pouvez la garder au frigo pour 2 jours, ou même la congeler. Pour 4 personnes, en entrée importante.
Pour la pâte
250g farine
9g de sel complet
12g levure de boulanger sèche
200g d’eau tiède
300g d’huile de tournesol pour frire
Pour la sauce
1 grosse tasse d’huile d’olive
2 tomates cœur de bœuf
3 tomates San Marzano
100g de tomates datterino (ou tomate cerise)
2 longues tiges de romarin frais, les feuilles retirées et finement hachées
2 gousses d’ail, pelées, écrasées et grossièrement hachées
1/2 à café de sel complet
Poivre du moulin
Mélangez l’eau tiède avec la levure et laisser activer environ 10 minutes, où jusqu’à que ça mousse. Ensuite, dans un robot de cuisine ou dans un grand saladier, mélangez la farine et le sel avec l’eau levurée: amalgamez longtemps (environ 10 minutes) et vigoureusement jusqu’à créer une pâte assez collante et élastique. Laisser lever pendant au moins une heure couvert avec un torchon propre.
En attendant, préparez le jus. Dans une casserole au fond épais, mettez l’huile, l’ail et le romarin, et commencez à chauffer gentiment pendant 10 minutes. Ensuite rajoutez toutes les tomates grossièrement concassée. Salez, et laissez cuire très doucement pendant au moins 30 minutes, idéalement plus. Poivrez.
Une fois que le jus est prêt, chauffez l’huile à friture dans une autre petite casserole. Pour savoir si elle est chaude, essayez avec un petit morceau de pâte: si elle remonte tout de suite, c’est bon. Détachez des morceaux de pâte à la cuillère et faites frire pendant 7-8 minutes, ou jusqu’à que les beignets soient bien dorés.
Sortez les beignets à l’aide d’un écumoire et posez les sur du papier absorbant. Servez chaud à côté de la casserole avec le jus.