Égalités / Société

J'ai suivi un cours masculiniste à l'École Major de Julien Rochedy

Ancien président du Front national de la jeunesse, Julien Rochedy propose une formation en ligne pour apprendre aux hommes à être des hommes, des vrais.

Julien Rochedy dans l'une de ses vidéos | Capture d'écran
Julien Rochedy dans l'une de ses vidéos | Capture d'écran

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Le saviez-vous? On ne naît pas homme, on le devient. Une formule créée par Tertullien aux alentours de l'année 200, popularisée par Érasme au XVIe siècle, puis définitivement saccagée par Julien Rochedy en 2018.

Rochedy, c'est ce trentenaire qui présida le Front national de la jeunesse de 2012 à 2014, avant de quitter le parti de Marine Le Pen. Il expliqua son départ par l'arrivée au FN de «petits mecs autour de Florian Philippot [...], des jeunes gens qui ne sont pas des hommes selon [son] cœur», ajoutant qu'il est très difficile «de travailler avec des gens que vous méprisez dans le privé et même à qui vous auriez envie de mettre quelques claques de temps en temps».

Des propos toujours disponibles en ligne, notamment décryptés par Sylvain Crépon dans son livre Les faux-semblants du Front national. Sociologue et spécialiste des sciences politiques, l'auteur y décrit Rochedy comme «renouant avec la posture virile du nationalisme traditionnel, associant l'homosexualité au féminin et à la faiblesse».

«77 règles de l'homme»

À la lumière de ces déclarations, il n'était donc pas si étonnant de voir Rochedy réapparaître au printemps 2018 avec un projet nommé École Major, site internet à la devise édifiante: «Être et rester un homme». De loin, ça fleurait déjà le vestiaire et le jus de testicule. De près, c'est exactement ça.

Dans la partie gratuite de son site, Julien Rochedy propose des articles, souvent rédigés par lui-même, proposant à ses lecteurs –la cible est uniquement masculine– des conseils en tous genres pour développer et pérenniser leur masculinité.

Parmi les derniers articles publiés: «Et si les féministes n'étaient que des grosses fainéantes?», «Pourquoi les hommes doivent savoir tenir l'alcool» ou encore «Manger comme un homme: 5 conseils pour une alimentation saine et non-fragile». Après vérification, École Major n'est en rien affilié au Gorafi.

La véritable finalité du site ne réside pas dans ces articles dont la finesse n'aura échappé à personne, mais dans la formation payante proposée par Rochedy. Pour moins d'une centaine d'euros, n'importe qui peut s'inscrire à la session Alpha, qui permet d'accéder à une quinzaine de vidéos thématiques dans lesquelles il délivre face caméra ses conseils et analyses autour de la masculinité. En tout, cela représente plus de quatre heures à passer en tête-à-tête avec l'ex-étoile montante de ce qui est devenu récemment le Rassemblement National.

Ce qu'on ne peut pas retirer à Julien Rochedy, c'est que le mec a lu des livres, appliquant à la lettre l'une des «77 règles de l'homme» qu'il propose dans un PDF à imprimer –et dont les camarades de Buzzfeed France auraient sans doute tiré de prodigieux posters pour toilettes. Règle numéro 65: lire le plus possible. Et notamment des biographies d'hommes célèbres, précisera-t-il dans l'une de ses vidéos. Parce que nous, les hommes qui voulons devenir des hommes, avons besoin de trouver des modèles parmi les grandes figures du passé.

Brutal, dominateur, costaud par nature

Le gros problème de Julien Rochedy, celui qui le ferait sans doute verser une larme si ça n'était pas un truc de faible («il faut avoir honte de souffrir»), c'est que la société contemporaine a été si féminisée («notre monde est aujourd'hui totalement du côté des femmes») qu'il est extrêmement difficile de trouver des modèles à suivre parmi les grands hommes d'aujourd'hui.

Une seule exception selon lui: «les grands chefs d'entreprise», dont il parle avec autant d'étoiles dans les yeux que lorsqu'il évoque l'une de ses références favorites, Napoléon Bonaparte. À titre personnel, je ne me lève pas chaque matin avec l'ambition de ressembler à Pinault, Arnault ou Dassault. Mais chacun son truc.

Il faut dire que mes obsessions semblent légèrement différentes de celles de Julien Rochedy. Parmi ses mots favoris, on trouve «efficace», «puissance», «conquête» et «masculinité». Rochedy voit ouvertement la vie comme un champ de bataille sur lequel il faut coller des pains, métaphoriques ou non, afin de montrer qu'on est le dominant et qu'on mérite le respect.

Et c'est à l'aide de Nietzsche, de Foucault, de Schopenhauer ou de Marc-Aurèle qu'il entend nous le prouver, sans envisager réellement que 1) sa façon de tout analyser par le prisme de la masculinité soit complètement pétée et que 2) le monde d'aujourd'hui puisse aspirer à être différent de celui d'hier.

L'argument principal de Rochedy, c'est la nature. L'homme est brutal par nature, dominateur par nature, costaud par nature. Alors pourquoi changerait-il? Toujours si pratique, cette façon de remonter à Néandertal pour justifier indirectement la misogynie, le sexisme et les violences faites aux femmes.

La «féminisation» du monde, telle que la décrit Julien Rochedy, est radicale et en passe d'être achevée si les hommes ne font rien. Il la trouve dangereuse. Pourquoi? Parce qu'elle est contre-nature. Et parce qu'elle est en train de pousser les hommes à bout. «C'est quand un homme se sent fragilisé dans sa virilité qu'il devient violent», explique-t-il tranquillou dans sa vidéo d'introduction.

Masculinisme à l'état pur

En quelques minutes, le ton est donné. On appelle ça du masculinisme, ce qui, rappelons-le, n'est absolument pas un gentil inverse du féminisme. Si la lutte féministe aspire à permettre aux femmes de vivre dans une société qui ne les méprise pas et ne les opprime pas, le combat masculiniste consiste à tout faire pour empêcher ces dernières de venir remettre en cause l'ensemble des acquis accumulés siècle après siècle par les hommes.

On peut par exemple le voir dans le film La Domination masculine de Patric Jean, ou en se baladant –une pince à linge sur le nez– sur le forum 18-25 du site jeuxvideo.com. Un masculiniste, c'est comme un enfant gâté de 4 ans: ça hurle à l'injustice dès qu'on lui demande de prêter ses jouets ou quand on ne s'intéresse pas à lui, et ça peut même casser des dents quand c'est très très fâché. Pire encore, ça peut aussi prendre son fusil et aller tirer sur des femmes pour soulager sa peine, comme le firent Marc Lépine à Montréal ou l'«incel» Alek Minassian à Toronto.

L'air de rien, peu à peu, Julien Rochedy justifie le fait qu'un homme puisse être violent. «Bien sûr, il y a une part de violence dans chaque homme», explique-t-il, ajoutant que «l'objectif est de contraindre cette violence et d'arriver à la sublimer» –un plan qui est loin de se dérouler sans accroc, puisqu'on rappelle qu'en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint.

Pourtant, à écouter Julien Rochedy, les femmes semblent bien constituer le nœud du problème. Si les vidéos de l'École Major parlent assez peu d'elles, elles sont dès le départ décrites comme les responsables de la crise de la masculinité que vivent tant d'hommes actuellement. «On nous demande de renoncer à ce qui a fait de nos pères des hommes», se lamente Rochedy, qui ajoute que «les idéologies dominantes depuis les années 1970 sont celles d'un féminisme agressif» visant à la «destruction de l'idéal masculin».

Puisqu'il semble aimer les bouquins, on lui conseillera par exemple la lecture de Backlash: la guerre froide contre les femmes, essai-somme qui valut le prix Pulitzer à la journaliste Susan Faludi en 1991. Elle y démontre méticuleusement, en citant de nombreux exemples et en fournissant des chiffres fiables, à quel point ce fameux idéal masculin est non seulement loin d'être amené à disparaître, mais qu'il a en fait de très beaux jours devant lui, les femmes se voyant mettre des bâtons dans les roues à chaque étape de leur vie.

Qu'elles décident de nourrir des ambitions professionnelles ou de ne pas faire d'enfant –pardon, de «perpétuer la lignée», comme dit Julien Rochedy, elles trouveront toujours sur leur chemin des hommes prêts à décider à leur place. Et elles sont rapidement décrites comme agressives, à partir du moment où elles osent refuser d'être traitées comme des paillassons.

Rochedy pratique un masculinisme à l'état pur, mais qui ne se fait plaintif qu'en de rares occasions: ce qu'il veut, c'est agir, pour que la «communauté des hommes» ne soit pas privée de ses acquis abusifs. L'ambition principale de l'École Major est donc de nous apprendre à devenir et à rester «des vrais mecs».

Hommes ≠ Femmes

Deux arguments sont censés convaincre de la nécessité de ce travail sur nous-même. D'abord une citation de James Garfield, président des États-Unis en 1881, qui affirmait: «Si je réussis à faire de moi un homme, je sais que je réussirai dans tous les autres domaines». Et pour cause: dans ces vidéos, être un homme, c'est avoir les dents qui rayent le parquet, vouloir tout écraser sur son passage, y compris d'autres hommes et bien entendu des femmes, et réussir coûte que coûte dans la grande compétition de la vie.

Le second argument, on y vient, est tout de même celui de la séduction. Julien Rochedy n'est pas là pour faire une démonstration de pick-up artist, mais ses objectifs ne sont guère différents. «Parce que nous sommes toujours des mammifères, les femmes sont toujours beaucoup plus attirées par ce type d'hommes», à savoir les hommes virils, musclés, au tempérament de dominants.

On remarquera au passage à quel point ces vidéos sont hétérocentrées. Aucune référence à l'homosexualité ou à la bisexualité. Sans doute parce que si vous n'êtes pas hétéro, vous ne pouvez pas aspirer à devenir membre du club des vrais mecs.

L'aspect binaire de sa vision du monde ne s'arrête pas là: dans l'une de ses vidéos, Rochedy oppose valeurs masculines et valeurs féminines, qu'il décrit comme antagonistes mais complémentaires. On en est encore là en 2018: à décrire les hommes et les femmes comme des pièces emboîtables.

La démonstration va loin. Tenez-vous bien. Je cite –avec des pincettes: «Les valeurs masculines découlent de ce qui pénètre l'autre», tandis que les «les valeurs féminines consistent en l'acceptation de l'autre en soi». Pénétrer ou être pénétrée. Voilà les rapports femmes-hommes d'après Julien Rochedy, qui convoque la nature à chaque coin de phrase. Les femmes gèreraient la «survie grégaire de l'individu et du foyer», tandis que les hommes en assureraient le «développement».

Il s'emploie ensuite à lister les valeurs masculines et les valeurs féminines, toujours selon lui. Chez les hommes, l'honneur et la violence prédominent –on doit littéralement «être prêt à mourir pour son honneur», ce que les femmes ne parviennent pas à comprendre. Chez les femmes, c'est la tolérance qui l'emporte.

Discrimination décomplexée

Figurez-vous que si Julien Rochedy n'a apparemment aucun problème avec le fait qu'on puisse se battre en duel pour laver son honneur –ce qui le range du côté de types comme Alain Soral, le mot «tolérance» le fait en revanche vraiment tiquer. Tolérance. Pouah. «La tolérance doit se mériter», affirme Rochedy sans rougir, avant de dévoiler son jeu: «un homme n'a pas de raison d'accepter dans sa communauté des choses qui lui sont étrangères».

Plus loin, il ajoutera que «le respect n'est pas un droit naturel», expliquant que les hommes finissent par se faire piétiner s'ils ne cultivent pas leur rapport au respect, à l'honneur et à la virilité. «J'ai souvent vu des hommes se faire taper dans la rue, des Français qui n'ont pas cette culture-là», dit-il sans aller plus loin.

Ce n'est effectivement pas la peine: on a bien compris qu'il s'agissait d'appeler les hommes français à se reviriliser, merde, parce que tous ces gens qui viennent d'autres pays sont en train de nous dominer physiquement et mentalement. «Il est important de faire la distinction (la discrimination, j'ose le mot), entre les gens qui ne méritent pas le respect et ceux qui le méritent». La discrimination décomplexée: encore une bien belle idée, puissamment humaniste.

Si on ne connaissait pas les idées politiques de Julien Rochedy, on peut les deviner sans mal. Sa façon de parler des rapports entre maîtres et esclaves ne fait d'ailleurs qu'enfoncer le clou: «L'objectif des esclaves, c'est de détruire les forts», alors que «l'objectif des forts est de pousser la société, de pousser l'homme». Salauds d'esclaves qui ont tenté de se libérer de leurs entraves pour tenter de devenir maîtres et maîtresses de leurs existences, au mépris de l'intérêt général.

Des arguments pouvant être reliés à son passé de jeune leader FN, Julien Rochedy en déroule comme cela tout au long de ses vidéos, sans avoir l'air d'y toucher. Dans l'une de ses leçons, il explique qu'un homme ne peut réussir seul et qu'il doit se construire un clan, réuni autour de valeurs communes. L'un des piliers de consolidation de ce clan: «se trouver un ennemi commun», puis resserrer les liens en l'affrontant tous ensemble. Une certaine idée de la France: stigmatiser pour se sentir plus soudés. Il y aurait mille exemples à citer pour illustrer à quel point cette idée est nauséabonde, mais on va tenter d'éviter le point Godwin.

«La femme», ville fortifiée à assiéger

Politiquement abject, le discours de Julien Rochedy n'est pas franchement plus fréquentable en terme de séduction. Dans une vidéo titrée «L'Approche de la femme» –pourquoi s'emmerder à dire «les femmes» alors que ça n'est apparemment que du bétail, il évoque la «friendzone», concept éminemment dangereux, puis explique sa vision en deux axes: «conquête et fondation»

«La femme» est une ville fortifiée qu'on doit assiéger et annexer à tout prix. La métaphore guerrière est partout. Rochedy insiste sur l'importance du vocabulaire qu'il emploie, expliquant qu'il parle volontairement de «posséder» et de «prendre» une femme.

Justification: l'orgasme masculin étant moins intense que l'orgasme féminin –qui est bien entendu unique, l'homme a besoin de compenser en trouvant d'autres formes de plaisir. Et c'est dans la possession, l'asservissement qu'il va parvenir à prendre son pied. Alléchant, non?

Une fois la femme idéale conquise et mise sous clé, il sera temps de l'utiliser pour vous construire une descendance, l'autre obsession de Rochedy, selon lequel l'homme ne peut s'accomplir qu'en perpétuant sa lignée.

Avec Rochedy, il est souvent nécessaire de lire entre les lignes, son approche faussement dandy des rapports femmes-hommes pouvant parfois donner l'impression qu'il respecte les femmes, alors qu'il n'en est rien.

C'est d'autant plus glaçant lorsqu'il explique que «le couple est un rapport de puissance» et que «la plupart des hommes quittés par leurs femmes sont ceux qui oublient de faire preuve de puissance» –j'aimerais beaucoup lire l'étude statistique qui a mené à cette conclusion.

Non seulement l'homme doit avoir le dessus, mais il ne doit pas hésiter à prendre le large dès qu'il sent que le vent tourne. «Quand je perds ma force au sein d'un couple, je préfère quitter avant d'être quitté», nous dit-il. Mesdames, préparez-vous au pire: Julien Rochedy ne vous épousera pas si vous n'êtes pas assez soumises.

Refuser d'être un homme

Après avoir terminé de visionner les vidéos de l'École Major, j'ai éprouvé le besoin de prendre une douche. J'ai savonné mon torse non musclé en me disant que j'étais assez fier d'avoir choisi un autre chemin, celui de refuser d'être un homme, pour reprendre le titre du livre de John Stoltenberg.

Aux antipodes de Rochedy, l'essayiste y explique pourquoi et comment en finir avec la masculinité et tout ce qu'elle inclut de toxique. C'est un livre passionnant, avec lequel il est permis de ne pas adhérer à 100% –on aurait pu s'éviter le rejet de la pornographie et de toute forme de rapport de domination, même dans le cadre d'une relation sexuelle, mais qui propose en tout cas une vision plus moderne, plus respectueuse des êtres, et plus rassurante pour les femmes.

Je ne voudrais pas être une femme dans ce monde-là. Je ne voudrais pas y être un homme non plus. Je ne veux pas du monde selon Julien Rochedy, pour personne.

Le monde selon Rochedy est insupportable. On y élimine les faibles tout en maintenant la tête des femmes sous l'eau, on assume de perpétuer le fait que notre monde soit constitué de proies et de prédateurs, on rejette ce qui est différent, sauf si c'est dans notre intérêt.

Je ne voudrais pas être une femme dans ce monde-là. Je ne voudrais pas y être un homme non plus. Je ne veux pas du monde selon Julien Rochedy, pour personne.

Mais ce qui me terrifie, c'est que contrairement à ce qu'il pense, les «valeurs» qu'il défend dans des vidéos continuent à occuper la majorité de l'espace public, à prendre beaucoup de place, à risquer en permanence de polluer les cervelles de mes enfants et de tous les autres. Je ne suis pas sûr de bien dormir la nuit prochaine.

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