Culture

Oui, FIP est bien la meilleure radio au monde

Le fondateur américain de Twitter a récemment déclaré son amour à «France Inter Paris». Qu'est-ce qui rend cette radio si cool?

Le 25 janvier 2000 dans le studio local de FIP à Lyon | ERIC CABANIS / AFP
Le 25 janvier 2000 dans le studio local de FIP à Lyon | ERIC CABANIS / AFP

Temps de lecture: 8 minutes

Quand, gamin, j'étais dans la voiture avec ma mère, notre plus grande peur était les bruits de friture qui indiquaient la fin du périmètre de diffusion de l'antenne locale de la radio FIP. Avant internet et l'ère des webradios, on ne pouvait écouter «France Inter Paris» que dans les zones proches de Nantes et de Saint-Nazaire, en Pays de la Loire. Je n'étais alors pas vraiment fan de FIP, que j'identifiais plus à de la musique classique un peu chiante qu'à un trésor de pépites musicales, mais j'adorais voir le visage de ma mère s'illuminer quand les grésillements s'estompaient enfin à force de jouer avec la roulette de la bande FM.

Dans son Missouri natal, Jack Dorsey, aujourd'hui connu pour être le fondateur du réseau social Twitter, n'a sûrement pas été biberonné aux voix douces de FIP. Mais cette star du secteur des nouvelles technologies adore la station de Radio France et l'a fait savoir au monde entier en tweetant ce message le 12 septembre 2017:

«FIP: meilleure radio au monde. Toujours parfaitement dans l’ambiance.»

Un éloge largement salué, notamment par des gens qui n'ont pas toujours émis de bonnes ondes sur le futur de la station, dont Mathieu Gallet. Le patron de Radio France avait en effet décidé, début 2017, de ne pas remplacer les départs à la retraite des animatrices de FIP dans les bureaux régionaux (Bordeaux, Strasbourg, Nantes). Les «fipettes», comme elles sont surnommées, représentent pourtant un pan de l'ADN si original de la radio.

Le mythe des «fipettes»

Lors des premières années de FIP, créée le 5 janvier 1971, quatre voix féminines assurent l'animation de l'antenne au milieu des larges sélections musicales qui occupent la quasi-totalité de la journée. Leurs voix se ressemblent et leurs noms ne sont jamais prononcés. Si bien que, pour beaucoup d'auditeurs, il ne s'agit que d'une seule et même muse, sorte de fantasme radiophonique. 

«Les fipettes n'ont jamais eu toutes la même voix. Le même ton, oui», murmure suavement une femme au bout du fil. C'est Jane Villenet, plus ancienne fipette de la station, quarante ans de micro. «Si vous avez une oreille fine, vous faites la différence. Il y a des voix acidulées, graves, aiguës. Kriss [une des premières fipettes ndlr] n'avait pas du tout la même que Simone Hérault [devenue plus tard la voix de la SNCF ndlr]. La voix de FIP, c'est une douceur. Toutes les percutantes de votre parlé étaient enveloppées.» 

«Il y a toujours des auditeurs qui croient qu'il y a une “fipette” unique.» 

Emilie Blon Metzinger, animatrice chez FIP 

Le «ton» FIP ne signie pas que les voix y sont aseptisées. «Je n'ai pas changé ma voix pour y travailler», raconte Emilie Blon Metzinger, fipette des années 2000. «Personne n'est venu me dire “il faut que tu aies cette voix-là”, mais on demande plutôt de “s'amuser, de délier les langues”. Pourtant, il y a toujours des auditeurs qui croient qu'il y a une fipette unique. Quand je dis où je travaille en soirée, neuf personnes sur dix vont me dire: “ah c'est toi la fille qui annonce les bouchons sur FIP”.» Une confusion que Jane Villenet attribue à «un fantasme d'homme»

En réalité, le ton des fipettes se nourrit de mille nuances. Elles accompagnent la programmation musicale en plaçant par-ci une intonation réfléchie en bout de phrase pour épouser la fin d'un morceau de musique classique, par-là un débit plus rapide avec une articulation moins lente pour lancer un titre de hip-hop. C'est même plus compliqué que ça.

«Si on est vaporeux et redondant, on ne va pas être en phase avec la musique. Il ne faut pas forcément être lent dans notre voix si c'est une mélodie très douce. Il faut savoir contrecarrer le rythme pour mieux mettre en valeur la musique», dit Emilie Blon Metzinger. 

Plus petit réseau du groupe Radio France, FIP s'est fait sa place grâce à son éclectisme musical et son animation singulière: très peu d'interventions verbales de ses présentateurs en direct. «Au début, on avait des voix totalement anonymes de femmes qui animaient l'antenne, et des hommes qui annonçaient les flashs infos», se souvient Christian Desplaces, rédacteur en chef du «Tube», l'émission médias de Canal+. «Quand la station a été lancée, il faut s'imaginer ce qu'était à l'époque la radio en France. FIP était quelque chose de totalement nouveau. De la musique non commerciale, un agenda culturel, des infos trafic et locales. Ils ont inventé les infos culturelles.»

La «fipette» Jane Villenet au micro de FIP, le 5 janvier 2011. ERIC CABANIS / AFP

«Une radio sans vedettes et sans robots»

Depuis les débuts, les choses ont changé. Même si la petite station au logo rose est toujours un ovni dans le paysage radiophonique français, elle s'adapte pour être dans l'air du temps. Les points sur l'état du trafic routier à Paris et dans les grandes villes en région ont été abandonnés, et les informations recentrées sur l'actualité culturelle et surtout sur la programmation musicale. Car depuis son lancement, FIP a vu émerger les radios libres, puis les radios locales avec le réseau France Bleu qui lui a piqué bon nombre de fréquences, et enfin les médias d'information en continu comme France Info. 

Pour ne pas disparaître et garder ses admirateurs, la station a fait l'inverse de ses concurrents: peu de prises de parole en direct et une grande diversité musicale. «FIP, c'est une radio sans vedettes et sans robots», glisse le spécialiste des médias Christian Desplaces avec la délectation du bon mot. «Il y a tout un vocabulaire qui n'appartient pas à notre radio. On travaille avec les outils du monde moderne mais en faisant de l'artisanat», affirme la fipette Jane Villenet. 

«On travaille avec les outils du monde moderne mais en faisant de l'artisanat.» 

Jane Villenet, fipette depuis quarante ans 

Sur FIP, en effet, pas d'algorithme ni de robot pour programmer la grille musicale de la journée. Une poignée de producteurs décident au jour le jour de la suite de morceaux à diffuser aux fidèles auditeurs. «Tout est manuel, sauf pour la playlist de nuit entre 22-23 heures et 7 heures du matin. Quand j'arrive le matin, je ne sais jamais ce que je vais programmer dans les jours à venir. Cela peut être un truc que j'ai écouté chez moi, un disque qui traîne sur le bureau... Puis, un morceau en entraîne un autre», note Luc Frelon, programmateur «made in FIP». 

Les enchaînements musicaux obéissent tout de même à quelques règles. Il y a d'abord une alternance de deux morceaux chantés avec un instrumental. Ensuite, un titre ne sera jamais diffusé plus d'une fois la même journée –et un artiste au maximum deux. Ce qui éloigne FIP de la dictature des promotions de maisons de disques et du piège des playlists qui tournent en rond. 

Les pirates de Brighton

Une ligne qui a permis à FIP de garder une audience relativement importante, au regard de sa position de niche et de son faible nombre de fréquences hors de Paris. Le lancement de la radio sur le web a d'ailleurs confirmé que «France Inter Paris» cultivait un gros réseau de fans. Selon l'Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), FIP réunissait en 2017 plus de six millions d'auditeurs sur sa version numérique par mois dans le monde, soit autant que sur sa bande FM. «Désormais, 20% de nos écoutes sur la webradio viennent de l'étranger», nous confie une membre du service communication. 

Preuve de cette dynamique, une application en anglais sera bientôt disponible pour écouter FIP, comme l'a fait savoir la station sur son compte Twitter en réponse au message de Jack Dorsey:

«Merci Jack! On espère que vous aimerez notre nouvelle appli mobile, disponible en anglais le mois prochain»

La déclaration d'amour du fondateur de Twitter à FIP n'est donc pas une exception. La radio jouit aujourd'hui d'une image mythique, presque légendaire dans certaines contrées. L'épicentre de cette folie contagieuse est sûrement Brighton, dans le sud de l'Angleterre. 

Pendant dix ans, de 1997 à 2007, FIP a été diffusée sur une fréquence pirate par un ou plusieurs habitants de la ville portuaire. Certains adorent tellement la station française qu'ils se réunissent en club tous les jeudis soir pour écouter collectivement «Jazzafip», émission phare de la radio. Le programmateur Luc Frelon est allé plusieurs fois à la rencontre de ces fous de FIP.

«En 2009, j'ai été invité à mixer en tant que “DJ FIP” -même si ça n'avait rien d'officiel- par une association de fans. Dans la ville, il y a des restos qui indiquent qu'ils diffusent FIP, vous entendez la radio dans des taxis... c'est assez dingue. Une fois, un chauffeur m'a demandé pourquoi je venais à Brighton. Quand je lui ai dit que je venais car je travaillais pour FIP, il m'a dit que la course était pour lui.»

Dans un article publié en 2007 lors de la fermeture de la fréquence pirate par les autorités à la suite d'une plainte, le journal local The Argus expliquait que la radio française «attirait des auditeurs de différents horizons, des tenanciers de boutiques jusqu'aux politiciens, avec sa musique excentrique et son absence de publicité et de bavardages». The Argus ajoutait même que certains habitants de la ville «avaient déménagé uniquement pour pouvoir capter la station»

Manifestation d'employés des stations FIP et France Bleu contre un plan d'économies annoncé par Radio France, le 9 avril 2015. NICOLAS TUCAT / AFP

Sur la page de «Love FIP», une des associations d'auditeurs de Brighton, les commentaires s'étaient alors multipliés. «FIP représente la liberté et le type de radio musicale que nous devrions avoir, avec un minimum d'interruptions et seulement de la très bonne musique jouée à l'antenne. Pourquoi sur notre réseau national ne pourrions-nous pas avoir, avec les taxes que nous versons, un tel exemple de radio musicale aussi géniale?», se désespérait ainsi un anonyme. 

Loin du périphérique

«France Inter Paris» rayonne loin du périphériques de ses débuts. Aux Pays-Bas également, des fadas se démènent pour offrir une exposition à la radio. «FIP est dans l'offre du câble en Hollande. Il y a un mec qui est allé voir tous les opérateurs pour leur demander de mettre la radio dans leur catalogue. Et ça a marché. Un jour, j'ai fait une interview d'un groupe néérlandais “Jungle by Night” à un festival. Quand je leur ai dit que je bossais pour FIP, ils m'ont dit “Waouh c'est ma radio préférée!”. Je me suis alors souvenu que FIP y était disponible sur le câble», raconte le programmateur Luc Frelon.

L'engouement numérique et international autour de FIP est une bulle d'oxygène pour la station, sans cesse menacée de réduction budgétaire par la maison-mère Radio France en raison de son public de niche. La radio bénéficie aussi du soutien de ses fidèles auditeurs français. En 2000, une pétition contre la volonté de la direction de fermer six des neuf antennes locales avait récolté 50.000 signatures. Je n'ai pas souvent vu ma mère manifester, mais elle rouspétait de toutes ses forces contre une éventuelle disparition de FIP à Nantes. Elle a signé la pétition.

La fin annoncée des décrochages locaux est une grosse perte pour la radio, qui a construit son ancrage local grâce à ses agendas culturels. En 2015, ses salariés ont manifesté contre le plan d'austérité voulu par les dirigeants parisiens. Le combat est toujours d'actualité aujourd'hui. 

«C'est assez sordide, ça va à l'encontre de l'image de notre belle radio. Tout ça dans un souci d'économie. Elles sont toutes seules en région, donc ça a un coût», s'énerve Jane Villenet. 

La loi du silence 

Les fipettes savent passer d'une voix envoûtante et douce à un ton plus grave. Elles le montrent régulièrement en commentant une actualité moins légère qu'à l'accoutumée. «FIP n'est pas déconnectée du monde, ce n'est pas une radio de Bisounours. On revient à un mot qui est central pour nous: l'émotion. On est là pour accompagner les gens dans la vie de tous les jours, mais on est aussi là pour les accompagner dans les moments moins joyeux. Parfois, quand les événements l'imposent, notre voix vient moins de la tête et plus du cœur et des tripes», appuie Jane Villenet. 

Au lendemain des attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, aucune parole n'est venue interrompre le flot musical pendant plusieurs jours sur FIP. «Cela faisait du bien de laisser défiler la musique. Si on avait pris la parole, ça aurait soit dégouliné d'empathie, soit versé dans le trop-plein de commentaires comme sur les chaînes d'information en continu», explique, d'une voix grave Emilie Blon Metzinger. 

Un fragment de la sagesse d'une radio à la programmation pourtant si excentrique.

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